Retour à l'Ouest
recueille et transforme l’héritage de la société
antique en décomposition ; il fait l’unité de l’Europe barbare, féodale, puis
monarchique. La révolution de 1789-1793 annonce l’avènement de la bourgeoisie, la
future unité capitaliste. Le socialisme parait quand la révolution industrielle,
rendue possible par la conquête du pouvoir par le Tiers-État, donne naissance à
une classe nouvelle, appelée à prendre la succession du régime, puisqu’elle ne
peut ni renoncer à se libérer ni se libérer sans libérer tous les hommes. Marx
fait la synthèse de la révolution spirituelle en Allemagne, de la révolution
industrielle en Angleterre, de la révolution politique en France, c’est-à-dire
de toute l’expérience européenne de son temps. L’esprit européen, c’est aujourd’hui
l’esprit socialiste et seul il semble pouvoir sauver c’est-à-dire tirer du
désordre et des sanglantes aventures l’immense acquis matériel et moral
compromis par les contradictions intérieures d’un système de propriété et de
production entré en conflit avec lui-même.
Par sa technique, par ses communications, par ses échanges, par
l’universalité de ses besoins, par le type même des hommes qu’elle oppose les
uns aux autres, la société moderne tend à constituer une vaste unité au sein de
laquelle se referait à son tour, par la disparition des classes antagonistes, l’unité
humaine – sociale, intellectuelle et morale – à laquelle ont aspiré toutes les
religions. Trop d’adversaires habiles à exploiter la sottise nous surveillent
pour qu’il ne soit pas nécessaire d’ajouter que l’unité n’est point l’uniformité ;
qu’elle a au contraire besoin d’être vivifiée et enrichie par la variété. Les
différences de races, de pays, de formation historique n’acquièrent aujourd’hui
une gravité contre-nature que du fait des intérêts économiques qui les exploitent.
(Que l’on veuille bien réfléchir un moment à ces réalités : le sentiment national,
l’amour du pays, et à ce qu’en font des généraux patriotes qui se déclarent
prêts à exterminer la moitié de la population en faisant appel aux
interventions étrangères…). L’esprit européen n’est plus dans cet ensemble
médiéval et byzantin d’États armés, prêts à se mitrailler, ces systèmes
autarchiques dressés les uns contre les autres, étouffant tous et s’étouffant
les uns les autres, ce nœud d’intrigues, ces entreprises d’assassinats sans
cesse tramés contre les peuples.
Tout ceci appartient aux âges antérieurs, à la barbarie. L’homme
d’aujourd’hui le pressent à certaines heures avec une puissante netteté quand
il voit son destin se jouer sur des cartes imprévues.
Si beaucoup d’intellectuels, trop attachés à la bourgeoisie
(trop attachée elle-même au passé) ne savent plus où repérer l’esprit européen,
c’est que cet esprit s’est réfugié dans la pauvreté, le travail, la dure peine
de vivre, l’humble effort quotidien de préparation à l’avenir, – et aussi l’âpre
combat pour le droit de vivre et la transformation du monde : chez les
travailleurs.
Destin de l’Occident
16 août 1936
Les armées qui firent la grande guerre de 1914-1918 étaient
en majorité formées de travailleurs. Il n’est certainement pas exagéré de dire
que les pays belligérants – France, Angleterre, Belgique, Italie, Allemagne, Autriche,
Roumanie, Russie – perdirent, dans les hécatombes, sept à huit millions d’ouvriers
et de paysans, soit la population totale d’une Belgique ! Il faut se
souvenir de ce chiffre terrible pour mieux comprendre l’histoire de l’après-guerre
et les événements auxquels nous assistons aujourd’hui. Si des formes peu
variées de réaction fasciste ont pu l’emporter dans plusieurs pays d’Europe, en
Hongrie, en Italie, en Allemagne, c’est, de toute évidence, en très grande
partie par suite de l’affaiblissement des classes laborieuses, atteintes dans
leurs ressources vitales, par l’usure de la guerre. À cette usure n’échappaient
point les survivants, et elle se traduisit chez eux par des sursauts de mécontentement,
suivis de résignation, et par un profond déséquilibre moral. Les historiens
futurs s’étonneront de la bizarrerie, plus encore que de l’indigence, des
idéologies que l’on a vu s’imposer à des foules dans les vingt dernières années,
à une époque où l’esprit scientifique
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