Retour à l'Ouest
qui
se fit à Versailles en 1919. La question des Sudètes n’est pour Hitler que l’occasion
d’une mobilisation quasi générale appelée à lui permettre de poser en fait d’autres
questions. Tant que le monde n’aura pas trouvé un nouvel équilibre, il est fort
possible que nous n’ayons, des années durant, ni paix ni guerre : une paix
aussi anxieuse, aussi coûteuse qu’une guerre ; une sorte de guerre
sournoise dans laquelle les canons, s’ils tireront le moins possible, demeureront
sans cesse braqués sur les poitrines des peuples ; une paix précaire et
surarmée pendant laquelle les nations côtoieront chaque jour l’abîme. On négociera
cependant, à la faveur d’indicibles menaces, tandis que des deux cotés des
frontières, des millions de civilisés creuseront des fortifications à six étages
souterrains… Le manque des ressources matérielles mettra fin quelque jour, à
une échéance qui ne saurait être éloignée, à ce gaspillage insensé des forces
humaines. Les crises sociales auront mûri dans un monde en état de siège ;
sans doute la conscience des peuples interviendra-t-elle sous des formes encore
imprévisibles, pour imposer ses solutions. Si imminente qu’elle paraisse, la
guerre n’est ni fatale ni nécessaire ; mais la crise du monde moderne s’ouvre
par la double impossibilité de faire la paix sans transformer la société et de
faire la guerre sans courir au suicide. »
Les événements récents semblent confirmer en tous points ces
prévisions. Observons que jusqu’ici Hitler ne s’est presque jamais engagé qu’à
coup sûr. Il ne consentit à courir un risque assez considérable que lors de la
militarisation de la zone rhénane : sûr, d’ailleurs, de l’assentiment réel
de l’Allemagne et de son bon droit : des nations elles-mêmes armées pouvaient-elles,
en effet prétendre l’empêcher de mettre son propre territoire en état de
défense ? Le risque à courir n’était pas énorme, au surplus ; si la
France et la Grande-Bretagne avaient fait mine de réagir, Hitler en eût été
quitte pour se replier, avec, devant son peuple, bénéfice d’une défaite
politique qui eût tendu à nouveau le sentiment national. En septembre dernier, il
acceptait sans bluff, l’éventualité d’un conflit armé, sûr de détruire très
promptement la Tchécoslovaquie et de pouvoir ensuite négocier en vainqueur. En
mars 1939, il a joué sur du velours ; la Bohème n’était plus en réalité qu’une
forteresse démantelée, gouvernée par ses agents. Une autre facile victoire lui
reste accessible et je doute fort qu’il consente à s’en priver : la
Hongrie, pratiquement sans défense, lui promet des blés abondants et des
positions stratégiques à la porte des Balkans. La seule pression diplomatique
qui peut suffire pour installer à Budapest, sans démissionner le régent Horthy
ni attenter à l’indépendance formelle du royaume de Saint-Étienne, un gouvernement
à son gré. Ensuite ? Ensuite, il faudra bien qu’il s’arrête, car la
conquête militaire des Balkans l’obligerait à jouer son va-tout. Ce sont de
petits pays belliqueux, jaloux de leurs droits, qui savent se battre ; et
les puissances démocratiques ne manqueraient pas de défendre, probablement de
concert avec l’URSS, les pétroles de Roumanie.
Ces puissances, par contre, même quand elles auront
parachevée leurs armements – si tant est que des armements sont jamais achevés
– ne prendront pas l’initiative de la guerre, n’ayant rien à gagner aux
victoires les plus complètes. Elles ne se battront certes pas de leur plein gré
pour provoquer dans les deux empires totalitaires des révolutions, très
vraisemblablement socialistes, qui remettraient à nouveau, tout autrement, en
question les destinées de l’Europe : or telle serait la seule conséquence
quasi certaine d’une défaite des États totalitaires qui livrerait en outre aux
vainqueurs les sables de la Libye et les montagnes, infestées de guérillas, de
l’Éthiopie…
Les États totalitaires, eux, s’ils se savaient solides à l’intérieur,
n’auraient pas un si grand besoin de prisons. Leur faiblesse, ils la
connaissent eux-mêmes ; elle double exactement leur force. L’annexion de
huit millions de Slaves qui ont fait leurs preuves pendant la guerre de
1914-1918 contrebalance en ce sens l’accroissement de puissance de l’Allemagne
du fait de sa mainmise totale sur les industries et les
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