Retour à l'Ouest
vous étonnez pas de l’importance des chiffres : c’est
par dizaines et centaines de milliers d’âmes que se chiffre la population des
camps de concentration.
De la criminelle légèreté avec laquelle l’on y envoie les
gens, un article récent de la
Sovietskaya
Iousticia
[
La Justice
Soviétique
] (n°III pour 1939), nous permet de juger. On y cite, en
foule, d’une conférence de magistrats soviétiques, des faits de ce genre :
deux jeunes mariés, les B…, terminent leurs études moyennes à Saratov, obtiennent
du travail à Volsk. En cours de route, un parent leur fait un présent magnifique :
cinq livres de beurre et un sac de pommes de terre. Avec cette richesse, mais
sans un sou, ils arrivent à Volsk. Comment tenir les premiers temps ? Ils
décident de manger les pommes de terre et de vendre le beurre, article de luxe,
évidemment ; et ils le vendent pour 25 roubles, soit moins d’une semaine
de bas salaire. Arrestation et condamnation pour commerce illicite, spéculation,
sabotage du socialisme (oui !) : à chacun, cinq ans d’internement
dans un camp de concentration. Deux existences brisées. Voilà pour les pauvres
bougres inconnus…
Et voici pour les officiers. La
Krassnaya Zvezda
[
L’Étoile
Rouge
], quotidien de l’armée, publiait à la veille du congrès du
parti que 53 % – je dis bien cinquante-trois pour cent ! – des officiers
communistes frappés au cours des épurations récentes, l’avaient été par abus, malentendu,
injustice, sur dénonciations calomnieuses et devaient être réhabilités ! Et
c’est par dizaine de milliers que depuis Toukhatchevski, les officiers ont
écopé… Ainsi, la moitié des persécutés communistes (et quel pourcentage
imaginer pour les non communistes ?) sont officiellement innocentés…
Ajouterai-je que l’immense majorité des « maintenus coupables »
sont certainement tout aussi innocents ? Mais c’est une autre histoire. On
publie tout ceci parce qu’il faut d’urgence remédier à la crise du commandement,
réhabiliter et réintégrer dans l’armée les milliers d’officiers dont on a
besoin. On sélectionnera ceux qui n’ont pas approché de trop près les vieux
révolutionnaires massacrés… Ceux qui ont servi directement sous Toukhatchevski
et Blücher resteront « coupables », n’en doutons point, et
continueront les grands travaux – quand ils ont échappé aux balles du citoyen
Ejov, naguère encore haut-commissaire à la Sûreté.
On sait la disgrâce récente de Ejov, subitement passé du
ministère de l’Intérieur à celui des Transports fluviaux. Y est-il encore ?
Il avait été le docile instrument de trop de sinistres besognes pour vivre
longtemps : il doit disparaître, s’il n’as pas déjà disparu. Pour l’heure,
sa disgrâce vient de s’accentuer de très menaçante façon puisqu’il n’a pas été « réélu »
au comité central du parti… Le nouveau CC compte 71 membres comme le précédent,
mais il est rudement renouvelé… D’après des recoupements qui me paraissent bien
faits, des 71 membres du CC élus au XVII e congrès, en 1934, six sont
décédés – de mort naturelle… – et 49, je souligne
quarante-neuf
, ont été supprimés comme traîtres, espions, saboteurs,
Trotskistes, boukhariniens, bref, « ennemis du peuple », selon le
terme consacré. A n’en pas douter, ces quarante-neuf ont été pour la plupart
fusillés.
Le congrès du parti stalinien de l’URSS, dont tel est, en
somme, le bilan, du point de vue des cadres et plus encore du point de vue
humain, s’est clos, cela va sans dire, sur les quinze minutes rituelles d’ovations
enthousiastes, passionnées, exaltées, délirantes, à l’adresse du « Père
des Peuples », du « Bien-aimé », du « Chef génial », du
« Guide inébranlable des travailleurs de tous les pays » – et cætera…
Et l’on apprenait à peu près en même temps que l’URSS, qui a inexorablement
refusé l’asile aux Juifs traqués d’Allemagne, aux communistes des Sudètes, aux
communistes tchèques, aux communistes autrichiens et allemands réfugiés à
Prague, s’apprête à renvoyer en Espagne les 3 000 enfants, instituteurs et
institutrices espagnols qu’elle avait consenti à recevoir au temps où les
agents de Staline fournissaient, à prix d’or et de sang, des armes à la
République poignardée…
Juifs de Russie… *
8-9 avril 1939
Le
Courrier Socialiste
russe leur consacre, dans son
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