Retour à l'Ouest
impitoyablement.
Déjà l’on a commencé les épurations. Socialistes, libéraux, radicaux,
nationalistes, les hommes professant des opinions, quelles qu’elles soient, sont
déjà les uns en prison, les autres emmenés en Russie, pour y connaître les
camps de concentration et la résidence forcée dans les bleds lointains. La
mesure de ces répressions nous est donnée par les renseignements qui nous sont
parvenus de Lituanie. Une dépêche Havas a signalé l’arrestation à Kaunas, capitale,
d’une trentaine de « trotskistes », c’est-à-dire d’hommes de gauche
hostiles au totalitarisme stalinien. Ils ont été envoyés dans un « camp de
travail ». À Vilna, pendant les journées que l’armée soviétique, et avec
elle le Guépéou, y a passé, tous les intellectuels avancés ont été arrêtés, y
compris les avocats Tchernychev, père et fils, connus pour avoir souvent
défendu les communistes. Les militants socialistes Alter , Himmerlfarb,
Ehrlich, Rosenthal, de la gauche – communisante ! – du Bund [294] juif ont disparu,
emmenés « à Moscou ». Une cinquantaine de techniciens ont été
contraints de signer des engagements de travail en URSS « Dans toute la
Pologne occupée, dit une dépêche que j’ai sous les yeux, le Guépéou traque les
socialistes et envoie les plus connus en Russie. Les accusés du procès de
Brest-Litovsk (1934), Mastik, Grylovski, Bakinski et l’ancien député à la Diète
de Varsovie Czaninski, rédacteur du
Robotnik
– le
Travailleur
– ont été
arrêtés et transférés on ne sait où… » La même dépêche ajoute que « les
hitlériens ne sont pas inquiétés… » Tels sont les commencements de la
terreur.
De l’autre côté de la frontière allemande, cependant, un
demi-million de Juifs affolés par la plus inhumaine persécution cherchent à
pénétrer en URSS où du moins l’antisémitisme ne sévit pas… Un million et demi
de Juifs de Pologne paraissent, en effet, voués à mourir de faim ou à subir, sous
le despotisme nazi, un traitement que jamais civilisés n’infligèrent à un
peuple vaincu. L’Agence Télégraphique juive communique : « Les Juifs
ont été expulsés de diverses villes dans un délai de 30 minutes… Leurs biens
sont confisqués… Les vivres leurs sont refusées… À Pultusk, on a fusillé un
Juif par maison… » – Pauvres pays ! Et conquérants infâmes.
Langage de raison
15-16 avril 1939
Non, ce n’est pas encore la guerre sur cette Europe aux
abois que les fondés de pouvoir des classes riches mènent au suicide, avec
persévérance, depuis trente ans et plus. Ce n’est pas encore la guerre
européenne et j’espère bien que, cette guerre suspendue sur nos têtes, nous ne
la verrons point éclater. Mais ce n’est plus la paix, ce n’est plus même cette
paix précaire et dangereuse que l’on appela naguère la paix armée, la paix
prête à tuer en commençant par se tuer elle-même. Le brigandage s’est installé
au milieu des nations du plus vieux continent civilisé. En plein jour, comme
les barons bandits des temps noirs du Moyen Âge rançonnaient les marchands sur
la grand’route, les dictateurs font égorger les peuples faibles. L’espace vital
des forts devient l’espace mortel des faibles. Activité fébrile, vous pensez
bien, dans les chancelleries ; on ne sait vraiment plus où s’arrêtera la
fortune des marchands de canons, des marchands de gaz, des marchands de
boniments pour la guerre ; car la guerre que l’on prépare est dès aujourd’hui
la combine des combines, la plus fructueuse des bonnes affaires… L’hypocrisie, cependant,
dépasse les limites du grotesque. On entend la TSF exprimer l’indignation des
croyants de Grande-Bretagne et d’ailleurs à l’idée que Mussolini fasse assassiner
les pauvres gens de Durazzo, de Vallona, de Tirana, un vendredi saint [295] . Décemment, il
eût dû attendre le samedi, puis interrompre les bombardements le dimanche, jour
du Seigneur. À ce prix, un certain nombre de chrétiens l’eût jugé, il faut
croire, avec plus d’indulgence.
Tant d’iniquités, tant de mensonges se sont accumulés pour
la défense d’un vieil ordre qui s’effondre de lui-même, que l’on patauge dans
le crime et la bêtise ; et que les indignations des coupables sont souvent
risibles. Par crainte d’un changement de régime en Italie, qui eût fait naître
à la place de l’Empire fasciste une Italie socialiste ou fortement
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