Retour à l'Ouest
socialisante,
les grandes puissances démocratiques ont laissé Mussolini conquérir l’Éthiopie ;
il eût suffi de lui refuser les carburants et de lui fermer le canal de Suez
pour que sa conquête devînt impossible, pour que s’ouvrît la crise latente du
fascisme. Les sages politiques des oligarchies financières, plutôt que de voir
naître une Italie nouvelle, une Italie des masses laborieuses, rouge, évidemment,
ont préféré compromettre toutes les routes d’empires. Par crainte d’une Espagne
socialiste, ils ont délibérément secondé Franco, perdant ainsi le contrôle de
la Méditerranée et abandonnant aux États totalitaires une position stratégique
de premier ordre. Ainsi l’esprit de classe réactionnaire, l’emportant
systématiquement sur les consciences nationales, a été, et demeure, dans toutes
les bourgeoisies, le complice le plus agissant du fascisme.
Il m’est arrivé de le rappeler ici même. Tout le drame
moderne part du traité de Versailles, dont un mot de Foch définit l’esprit :
« Plutôt Ludendorff que Liebknecht ! » À l’Allemagne
démocratique, à l’Autriche socialiste, les vainqueurs ont tout refusé, jusqu’à
les rendre inviables. À l’Espagne républicaine, on a tout refusé jusqu’à lui
rendre la résistance impossible. Il y a dans tout ceci un immense sabotage des
intérêts nationaux et même impériaux ; quant aux intérêts de la
civilisation, quant aux droits de l’être humain tout court, en parler serait
dérisoire.
Il faut se répéter ces choses d’abord pour considérer la
réalité bien en face ; puis pour situer les responsabilités. Le socialisme
est vaincu dans la moitié de l’Europe, sur les champs de bataille, dans les
prisons, dans les camps de concentration, vaincu par la force brutale ; mais
celle-ci n’est à son tour, pour ses tenants, que l’instrument d’une défaite
sans bornes. Nos vainqueurs ne savent que tuer, se préparer à tuer, s’armer
indéfiniment : chaque mois qui s’écoule, chargé d’angoisses et de forfaits,
démontre leur impuissance à organiser le monde, à donner quoi que ce soit aux
hommes, à faire la justice, à faire la paix… Et puis, cette grande constatation
des responsabilités nous amène à une conclusion paradoxalement rassurante. Tout
le désordre moyenâgeux de l’Europe actuelle résulte de la complicité entre les
contre-révolutions fascistes et les réactions conservatrices des pays de
démocratie bourgeoise. En somme, les vainqueurs de Versailles ont sacrifié les fruits
de leur victoire à la peur du socialisme. Par peur du socialisme encore, ils
feront l’impossible pour éviter la guerre. Qu’auraient-ils à attendre d’une
victoire, sinon l’effondrement du nazisme et du fascisme dans l’explosion de
révolutions populaires ? Les empires fascistes, de leur côté, accumulent
dans leurs soubassements d’inimaginables quantités d’explosifs sociaux. Tant qu’il
leur sera possible de s’attaquer à des faibles, jouant sur du velours, ils
iront de l’avant ; quand il leur faudra tout risquer d’un seul coup, l’infiniment
probable est que l’instinct de conservation leur commandera de s’arrêter. Ces
colosses casqués et cuirassés multiplient en même temps que les victoires les
preuves d’une colossale lâcheté. Ils tremblent devant la moindre propagande :
toute parole libre recèle à leurs yeux un péril mortel, toute conscience qui
résiste, que ce soit celle d’un militant ouvrier ou d’un pasteur sincère, leur
est une insupportable menace. Leur violence même, par ce qu’elle renferme de
circonspection et de perfidie, nous est de leur part un gage de raison. Sans
doute n’aurons-nous d’ici longtemps ni la guerre ni la paix ; mais l’essentiel,
pour les peuples, étant de gagner du temps, cette vue raisonnable n’implique
nul pessimisme.
Terreur blanche en Espagne *
22-23 avril 1939
Que se passe-t-il en Espagne ? Les journalistes
socialistes n’y entrent pas. Les journalistes réactionnaires sont, de coutume, à
la dévotion de Franco. André Salmon, réactionnaire à souhait, lui aussi lève un
coin du voile dans le
Petit Parisien :
les théâtres jouent enfin le soir, Madrid retrouve ses lumières nocturnes, des
wagons de vivres y arrivent (pour ceux, de toute évidence qui peuvent se payer
des vivres ; et ce ne sont pas les petits porteurs des livrets de caisse d’Épargne,
tous spoliés d’un seul coup des neuf dixièmes de
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