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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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Grâce à lui, la
soviétisation du Nord de l’Asie, où pourtant les Blancs s’étaient souvent
montrés d’une abominable cruauté, se fit presque sans représailles.
    À partir de 1923, Ivan Nikititch appartient à l’opposition
qui réclame, dans le parti, le droit de pensée et de parole pour les militants,
dans le pays l’institution d’une démocratie ouvrière et la lutte contre le
pouvoir grandissant, de plus en plus arbitraire, de la bureaucratie. Au moment
où son exclusion du parti est prononcée, en 1927, il est commissaire du peuple
aux PTT. Exclu, Ivan Nikititch passe son portefeuille au successeur que lui a
désigné le parti et se trouve sans un centime. Un employé de la Bourse du
travail de Moscou, service d’enregistrement des chômeurs, voit alors se
présenter à son guichet un vieil homme à pince-nez, qui se fait connaître comme
un bon mécanicien de précision et sollicite du travail dans l’une des usines où,
il le sait de source sûre, les ouvriers aussi qualifiés que lui font défaut. L’employé
remplit une fiche. « Votre dernier emploi ? demande-t-il au
sans-travail. – Commissaire du peuple aux PTT… »
    Le Comité central ne permit pas à Ivan Nikititch de
reprendre sa place dans le rang, à l’usine. On le déporta dans cette Sibérie qu’il
avait contribué à conquérir à la révolution. La déportation signifiait pour lui
plus qu’une captivité : l’inaction. Pour redevenir utile, en travaillant, Ivan
Nikititch capitula, selon le terme consacré, fit amende honorable devant
Staline, abjura – du bout des lèvres, et comment eût-il pu faire autrement ?
– sa conviction d’opposant, demanda qu’on lui donnât l’occasion de servir
encore la révolution. « Nos désaccords, disait-il dans l’intimité, sont
graves et profonds ; mais ce qui importe par-dessus tout, c’est de
construire de nouvelles usines et de les faire marcher… » Il obtint la
direction des nouvelles fabriques d’automobiles de Nijni-Novgorod. C’est là qu’on
vint l’arrêter, en décembre 1932, comme « suspect » d’hérésie. Certes,
il pensait, voyait, jugeait, certes, il n’était pas consentant, s’il se taisait.
La conscience ne s’abdique pas (on a beau, parfois, lui faire violence…). On a
essayé, pour le fusiller, de lui imputer je ne sais quelle responsabilité dans
l’assassinat de Kirov . Mais le jour où tomba Kirov, Nikititch
habitait déjà depuis deux ans une cellule de la prison de Souzdal [54]  !
    Pendant qu’à l’autre bout de l’Europe un général Franco s’acharne
à poignarder l’Espagne ouvrière, verser à flots le sang de tels hommes, le sang
des fondateurs de l’URSS, quelle étrange, quelle épouvantable aberration.

Explication d’un suicide
    5-6 septembre 1936
    On n’avait encore jamais rien vu de semblable dans l’histoire,
si longue pourtant et si sanglante, des luttes politiques. Seize hommes, dont
une dizaine de vieux révolutionnaires trempés par l’illégalité, l’insurrection,
le pouvoir, le danger, l’opposition, avouer avoir voulu la mort du chef de leur
parti, renchérir sur l’accusation, se dénoncer les uns les autres avec un zèle
sans merci ; se traiter eux-mêmes de misérables et d’assassins – sans d’ailleurs
avoir tué ; réclamer pour eux-mêmes la peine de mort, la trouver juste et
nécessaire ; et proclamer leur admiration du dictateur qu’ils avaient
voulu supprimer, leur dévouement à sa cause, sa victoire, son succès éclatant
et bienfaisant. Et fusillés sur son ordre, le lendemain, tous les seize, dans
une cave de Moscou, le 25 août 1936. Voilà ce que le monde ne comprend pas.
    La plupart de ces hommes avaient donné tout au long d’une
vie les preuves d’un dévouement indéfectible à la classe ouvrière. On peut et
on doit discuter leurs idées, leurs actes, leur influence, on ne peut pas nier
qu’ils aient vécu et qu’ils soient morts pour servir, comme ils l’entendaient, la
classe ouvrière. Plusieurs d’entre eux avaient donné sur les champs de bataille
de la révolution russe des preuves d’un courage physique égal à leur courage
moral de toujours. Je pense à Smirnov, Mratchkovski , Dreitser , soldats des jours terribles de l’armée rouge…
    Comment, sachant tout cela, s’expliquer l’étrange
physionomie du procès ? Cette surenchère d’aveux allant jusqu’à l’invraisemblable ?
Ces rôles joués avec douleur, avec passion, cet acharnement, chez

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