Retour à l'Ouest
et pour rendre cette nomination
plus convaincante, on la publiait dans la
Pravda
et les
Izvestia
.
(On sait que le consul général de l’URSS à Barcelone disparut dès son arrivée
en territoire soviétique…) Raskolnikov explique qu’à Paris, il continua d’entretenir
de bonnes relations avec Litvinov – qui depuis… – et la légation. On appréciait
sa loyauté : c’était en réalité pour l’empêcher de passer à l’opposition
en soulageant sa conscience. Quand on crut sa voix étouffée, et elle l’est du
fait d’une situation internationale qui impose à la presse occidentale bien des
ménagements envers Staline, on dénonça en lui, selon la formule rituelle, un « ennemi
du peuple… »
Raskolnikov écrit à ce propos :
« Cette sentence montre, une fois de plus, ce qu’est la
justice stalinienne, comment l’on monte les grands procès, comment l’on
fabrique des légions d’ennemis du peuple… » Il exige la révision et le
droit de se défendre.
Nous expliquera-t-il un jour comment et pourquoi, ayant vu
disparaître tous ses collègues, camarades, compagnons d’armes, amis, pris au
piège, déshonorés, exécutés, il a attendu si longtemps, attendu qu’on s’en
prenne à lui jusque dans un exil toléré, pour formuler cette protestation sans
élan ?
Cela pose vraiment un problème moral – et social. Ce
problème, un Raskolnikov rendrait service à la conscience socialiste en
contribuant à l’élucider. Je doute qu’il le puisse faire sans quelque amertume.
Eh, qu’importe l’amertume ! Après avoir suivi si loin un tel régime, après
avoir vécu une telle expérience, comment renaître à la vérité, comment servir
la vérité, si ce n’est en acceptant courageusement sa part des responsabilités,
en surmontant la plus grande amertume ? Cette épreuve morale n’est
peut-être pas au-dessus des forces d’un Raskolnikov.
Car Fédor Raskolnikov nous demeure l’un des derniers
représentants des admirables équipes révolutionnaires de l’an 17, de l’an 18, de
l’an 19, de l’an 20… Grand militant du parti de Lénine, combattant de l’insurrection
victorieuse, chef et soldat de guerre civile… vice-président du Soviet de
Cronstadt avant la prise du pouvoir, sous-commissaire du peuple à la marine de
guerre ensuite, il commanda cette flottille rouge de la Volga qui barrait le
fleuve devant les bateaux de l’amiral Koltchak, tandis que Trotski, Rosengoltz,
Ivan Smirnov (ces deux derniers récemment fusillés) gagnaient, avec une poignée
d’hommes, la bataille décisive de Sviajsk. À la tête de la flotte rouge de la
Caspienne, il prit part, en Perse, à une tentative de révolution. Ministre
plénipotentiaire en Afghanistan, en 1921. De retour à Moscou, il préside plus
tard le Comité du répertoire des théâtres, écrit ses souvenirs, se révèle
critique et dramaturge. L’esquisse de cette biographie révèle un militant
multiplement doué. Avec cette vie si ardente et si riche derrière lui, Raskolnikov
n’a aujourd’hui que quarante-six ans ; il appartient au parti bolchevik
depuis 1910.
Marx et Bakounine *
12-13 août 1939
Les grands hommes d’action sont plus difficiles à peindre
que les grands hommes de pensée : car les remous d’admiration, d’imitation,
de jalousie, d’inimitié et de sottise qu’ils soulèvent compliquent de beaucoup
à leur sujet, la recherche de la vérité. Quant au grand révolutionnaire, la
légende et l’histoire faites par les classes dirigeantes n’en laissent de coutume
parvenir jusqu’à nous qu’une image caricaturale. L’influence de Michel
Bakounine n’est pas près de s’éteindre : que l’on songe au rôle que ses lointains
disciples ont joué dans la révolution espagnole ; et pourtant, jusqu’à ce
jour, il n’existait – que nous sachions – dans aucune langue européenne, si ce
n’est en russe, d’honnête biographie de l’infatigable adversaire de Marx. L’œuvre
monumentale que lui a consacré Max Nettlau n’a pas
trouvé d’éditeur : il n’en existe que quelques exemplaires manuscrits, en
allemand, dans de grandes bibliothèques. Je ne crois pas que Iouri Stiéklov qui,
à Moscou, commença de publier une biographie scientifique de Bakounine en
plusieurs volumes, ait pu la continuer. Qu’est devenu Stiéklov, qui fut dans
les premières années de la révolution le rédacteur des
Izvéstia ?
Il y a fort peu de
chances qu’il vive et, vivant, puisse
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