Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
Vom Netzwerk:
civilisation…
    L’économiste anglais qui nous suggère ces conclusions
reconnaît du reste que les capitalistes allemands n’ont pas le monopole de ces
considérations matérielles. La politique de non-intervention, à revers du
blocus de l’Espagne républicaine, imposée en réalité à la France par le cabinet
Baldwin a des dessous tout aussi visibles. Les mines de cuivre de Rio-Tinto (Huelva)
appartiennent à une société britannique ; sous le pouvoir du Front
populaire, leurs actions avaient fortement baissé à la Bourse de Londres. Les
hommes d’affaires redoutaient sans doute la répercussion des lois sociales
projetées sur les frais d’exploitation et, plus encore, les desseins de
nationalisation que pouvaient nourrir marxistes et anarchistes… Depuis que la
région de Rio-Tinto a été occupée par les fascistes, ces actions ont subi une
hausse remarquable, bien que le cuivre extrait des mines soit vendu en
Allemagne à des conditions apparemment désavantageuses…
    (Où l’on voit une société britannique approvisionner l’Allemagne
– qui s’arme contre la Grande-Bretagne – en minerais de première importance… L’argent
n’a pas d’odeur ; et la seule internationale dangereuse pour l’humanité
est celle des financiers…)
    Je crois pouvoir ajouter à ces renseignements une
observation de date toute récente. L’émotion provoquée en Angleterre par le
bombardement de Guernica et l’offensive sur Bilbao a été très grande et très
bien exploitée par la presse. N’est-ce pas le moment de se souvenir que les
mines de l’Euskadi sont en majeure partie contrôlées par des sociétés britanniques ?
Dès lors, l’occupation de Bilbao par des troupes nationalistes commandées en
réalité par des États-majors allemands et italiens pourrait avoir de fâcheuses
conséquences pour les intérêts anglais… Et nous voyons des archevêques
anglicans, que les massacres de Badajoz et de Malaga avaient laissé indifférents,
que les exécutions de prêtres basques par les phalangistes n’avaient pu
troubler, s’émouvoir du bombardement de Guernica…

Portrait de femme
    22-23 mai 1937
    « Quelle ville triste, ce Paris, me disait-elle. Grise
et sans joie, sans raisons de vivre. On y est affairé, pressé, bousculé : chacun
suit son petit chemin compliqué à la recherche de l’argent, du pain, de l’amour
et d’un tas de choses inutiles… Je ne suis pas religieuse, vous le savez, mais
je trouve que la futilité de cette vie-là saute trop aux yeux. Parce qu’elle
manque de joie. »
    Nous étions pourtant dans un des plus beaux jardins de Paris,
peuplé de jeunesse et d’intelligence. Cette camarade venait de franchir une
frontière de feu : arrivée la veille d’Espagne, partie l’avant-veille du front
de Madrid : un abri en sacs de terre, au milieu d’arbres mutilés, verdoyants
tout de même, aux abords de la Cité universitaire. Entre les sacs de terre un
téléphone…
    Elle devina sans doute que j’allais lui répondre.
    « Ne pensez pas que je suis injuste envers Paris. Mais
je suis juste envers la révolution. Vous souvenez-vous de ce que c’est qu’une
révolution vivante, vous qui connaissez si bien une révolution éteinte ? Madrid
déchirée par les obus, Madrid en deuil, en sang, vit, je vous assure, avec une
ardeur saine, une liberté intérieure, une faculté de trouver de la joie au plus
fort de la douleur que je ne retrouve pas ici… Toute l’Espagne sent qu’on ne reviendra
plus jamais au point de départ… Les journaux publient des annonces comme
celle-ci : “Antonio Martínez recherche sa femme et sa fille Mercedes, quatre
ans…” Il se peut bien qu’Antonio Martínez ne retrouve plus sa femme et sa fille ;
mais si vous le voyez vivre dans la tranchée ou dans quelque caserne Lénine ou
Durruti, tout dévoré de souffrance qu’il est, vous vous étonnez de découvrir
chez ce petit briquetier andalou un camarade étonnant d’entrain à vivre, à se
dévouer, à découvrir un monde implacable qu’il faut tout de même conquérir… Les
Martínez se sauvaient dans les premiers combats, sous le feu de l’artillerie. Il
n’y a pas de miliciens qui, dans cette guerre, ne se soient sauvés plusieurs
fois. Idiots, ceux qui les ont traités de lâches ! Je voudrais bien les
voir eux-mêmes, pris au sortir d’un café sous une rafale de mitraille. Le
courage s’apprend, le mépris de la mort n’existe pas. Le vrai courage a peur

Weitere Kostenlose Bücher