Retour à l'Ouest
des accusations officielles
ni approuver l’exécution mystérieuse de leurs maîtres, sont devenus suspects et
doivent, ainsi ou autrement, être écartés des postes de confiance et des
commandements même subalternes. Quiconque connaît les mœurs russes d’aujourd’hui
sait que la chute d’un personnage marquant entraîne toujours l’élimination de
la vie publique de tout son entourage, jusqu’aux moindres collaborateurs.
Que penser enfin de la situation du maréchal Vorochilov , commissaire du peuple à la Défense nationale ?
Que ses collaborateurs les plus intimes aient été des traîtres ou que, innocents,
il les ait laissé sacrifier comme tels à d’obscures raisons politiques, mérite-t-il
encore la confiance absolue que sa fonction même requiert ?
L’accusation de trahison au profit de l’Allemagne formulée
contre le maréchal Toukhatchevski et les sept autres fusillés ne résiste à
aucune critique, il faut le dire. Tous les observateurs informés sont à peu
près unanimes là-dessus. Il s’agit d’une accusation-cliché destinée à justifier
devant l’opinion étrangère les exécutions devenues indispensables au Chef pour
de tout autres raisons. À la vérité, ces généraux rouges s’étaient formés dans
la lutte contre l’Allemagne ; leur pensée gardait l’empreinte ineffaçable
du bolchevisme des premiers temps qui ne saurait pactiser avec aucun fascisme. La
presse italienne avait raison de constater que la disparition de ces hommes, en
accentuant l’évolution du pays vers un régime totalitaire, pourrait bientôt
faciliter de nouveaux rapports entre Hitler, Mussolini, Staline, « les
trois dictateurs sortis du peuple et appuyés par le peuple ».
Le Temps
du 16 juin a donné sur ce
thème une correspondance de Rome tout à fait intéressante.
Essayons, pour comprendre, de nous rendre compte de la suite
des événements. Nous allons voir se déclencher le terrible engrenage qui n’a
pas fini de broyer les hommes les meilleurs de la révolution russe. En août 1936,
le procès Zinoviev, Kamenev, Ivan Smirnov aboutit à l’exécution de plusieurs
des compagnons de Lénine. Le dictateur a supprimé la principale équipe de
rechange, susceptible de former, le cas échéant, un nouveau gouvernement
soviétique. Mais désormais, tous les vieux bolcheviks sont devenus des témoins
gênants. On les arrête par milliers et le procès
Piatakov-Serebriakov-Mouralov-Radek amène de nouvelles exécutions d’anciens
membres du Comité central de Lénine.
Quelques mois se passent, on apprend l’arrestation du
ministre de la police, Iagoda , commissaire du peuple à l’Intérieur.
C’est lui qui a monté, sur ordres du Bureau politique, les récents procès. Tout
son entourage disparaît avec lui. Il y a gros à parier que les juges d’instruction
du Guépéou qui ont préparé les dossiers des affaires Zinoviev et Piatakov ne
sont plus du nombre des vivants. Désormais, il devient impossible de connaître
les véritables dessous de ces affaires. Iagoda, détenteur de trop lourds
secrets d’État, devait disparaître.
Mais le Guépéou qu’il dirigeait est étroitement lié au
service du moral de l’Armée, à la tête duquel se trouvait le vieux bolchevik
blanc-russien Ian Gamarnik. Impossible de supprimer Iagoda sans toucher à
Gamarnik. On hésite pourtant, car révoquer (et arrêter, et fusiller, évidemment)
Gamarnik, c’est démolir nécessairement tout le service du moral de l’Armée, vaste
appareil de police et d’éducation, qu’il administre depuis de longues années et
qui a une énorme importance. Impossible de reculer cependant : car
Gamarnik comprend les dessous de l’affaire Iagoda et car, en face du Chef, subsiste,
seul rival éventuel, le commissaire du peuple à la Défense nationale, fort du
prestige de l’armée et de la fidélité de ses cadres. En frappant ses collaborateurs,
on le réduira. Gamarnik se suicide (ou se fait tuer en cours d’arrestation, d’après
une version qui paraît sérieuse) deux jours après avoir reçu une éclatante
marque de confiance : on vient de l’élire au comité du parti de Moscou.
L’opération tentée contre lui a deux séries de conséquences :
tout le gouvernement soviétique de la République fédérée de Russie-Blanche, formé
de ses vieux amis et camarades, doit être inculpé de haute trahison. Le
président de cette République, Tcherviakov , un des
six présidents de l’URSS, se suicide
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