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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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découvrit le décor humide et bucolique de ce Sud agraire à prétentions aristocratiques. Engagé dans une lutte de survie, cette société à la fois rustique et raffinée, à la prospérité équivoque et malsaine, due aux travaux forcés des esclaves noirs, se parait de l'innocence d'une nature sereine. Sur les rives, au-delà des vastes champs de cotonniers en fleur, soja, blé, riz, légumes, mais aussi tabac et indigo n'occupaient que des parcelles congrues, largesse consentie par le Roi-Coton à des cultures subalternes.
     
    Du pont où il se tint avec Tilloy pendant le court voyage – l'unique salon étant réservé aux femmes dont les maris et les fils étaient à la guerre –, Desteyrac vit des Noirs marcher sur les berges, un outil sur l'épaule, près de leurs compagnes coiffées de grands paniers et suivies de marmots. L'ingénieur s'était préparé à voir des Noirs guenilleux, maigres, harassés, étroitement surveillés par des Blancs. Or les esclaves allaient librement, sans escorte, vêtus comme tous les travailleurs des champs – pantalon, chemise et chapeau de paille effrangé –, ni pressés ni flâneurs, d'un pas élastique, en bavardant, en plaisantant, parfois en riant. On les eût pris pour citoyens ordinaires regagnant leur logis après une journée de travail.
     
    – Ils n'ont l'air ni tristes, ni malheureux, ni coléreux. Qu'a-t-on à craindre de ces nègres ? dit Murray.
     
    – La plupart sont, depuis plusieurs générations, résignés à leur état, concéda Tilloy.
     
    – Peut-être ignorent-ils encore – mais pour combien de temps ? – que « les épées sont données pour que personne ne soit esclave 2  », cita Charles Desteyrac.
     
    De loin en loin, derrière des bosquets de magnolias cernés d'azalées géantes et de buissons de myrtes, au bout d'allées bordées de chênes centenaires, surgissaient les blancs manoirs des barons du coton. De style Greek Revival, à la mode depuis les années 30, colonnes à chapiteaux corinthiens et frontons palatins, ils se distinguaient de résidences moins insolentes, de style néo-gothique, architecture prisée au début du siècle, et plus encore des cottages de bois, derniers témoins de l'ère coloniale.
     
    Comme la plupart des grands domaines, celui de Bertie III Cornfield possédait un débarcadère sur l'Ashley. Cela permettait d'accéder du bateau au manoir par un chemin courant à travers les champs de coton, en cette saison massifs de fleurs.
     
    À peine les cinq visiteurs avaient-ils posé le pied sur les planches de la petite jetée qu'une calèche, venue du manoir, apparut au loin. Précédée de deux cavaliers armés de carabines, elle approcha au grand trot. Tandis que les gardes, des mulâtres au regard soupçonneux, encadraient les arrivants comme s'ils eussent été prisonniers, un homme jeune, portant costume de toile écrue, coiffé d'un panama, un étui à revolver battant la cuisse droite, descendit de la voiture. Il se présenta comme intendant de la plantation et allait s'informer de l'identité des visiteurs quand il reconnut lady Ottilia, de qui un séjour avant la guerre entre les États n'avait pas laissé à Clarendon House que de bons souvenirs.
     
    – Sir Bertie Cornfield espérait votre visite, dit l'homme, sachant l'objet de celle-ci.
     
    Il renvoya aussitôt les cavaliers au manoir avec mission d'annoncer l'arrivée des Bahamiens, lesquels prirent place dans la calèche.
     
    – Vous êtes bien gardés, ce me semble, observa d'un ton acide Mark Tilloy.
     
    – Nous devons nous défier des nigger lovers , ces gens qui épousent la cause des nègres. Ce sont parfois des pasteurs méthodistes. Ils tentent de s'introduire dans les plantations pour inciter les esclaves à se soulever contre leurs maîtres. Nous avons, à Clarendon, deux mille huit cents nègres, et il s'en trouve certainement quelques-uns parmi eux qui pourraient prêter l'oreille aux sornettes des Yankees. Et puis, circulent aussi des espions et des espionnes envoyés par les Nordistes. Nous sommes en guerre. Si nous l'oublions, les obus que tirent de temps en temps sur Charleston les navires fédéraux nous le rappellent, expliqua l'intendant d'un ton rogue.
     
    Clarendon House, ainsi nommée en souvenir d'Edward Hyde, Earl 3 of Clarendon, chancelier sous Charles II, un des huit lords à qui le souverain avait autrefois confirmé la propriété des Carolines et des Bahamas, parut à Charles de

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