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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l'Union qu'elles seraient traitées comme des prostituées. Cette affiche, qui valut à Butler une mauvaise réputation tenace, est encore, de nos jours, conservée, dans certaines familles sudistes, en témoignage des exactions subies au cours de la douloureuse occupation du Sud par les Nordistes pendant la guerre de Sécession.
     
    3 A History of Bahamas , Michael Craton, Collins, London, 1962.
     
    4 Ancienne mesure en usage dans la marine britannique, équivalant à six pieds, ou un mètre quatre-vingt-trois centimètres.
     
    5 Ce 13 e  amendement, célèbre dans l'histoire des États-Unis, ne serait voté que le 18 décembre 1865, après l'assassinat de Lincoln, le 14 avril de la même année.
     

7.
     
    Le passage de l'automne à l'hiver, comme celui de l'hiver au précoce et bref printemps, n'était, à Soledad, qu'une date sur le calendrier. Sur cette île proche du tropique du Cancer, chaque transition devenait imperceptible. Il fallut, en février 1863, consulter le thermomètre, au petit matin, pour voir qu'il marquait seulement 16 degrés, tout en sachant qu'il en atteindrait 25 à midi. On entrait ainsi dans la saison préférée de Charles Desteyrac.
     
    Au fil des années, le souvenir de la neige, des frimas auvergnats, de l'eau gelée qui n'arrivait plus aux lavabos du collège, des doigts enflés par les engelures, tout comme celui de la brouillasse parisienne, ne s'était pas estompé. Sous le soleil qui tiédissait l'air océanique, limpide et vivifiant, l'ingénieur se remémorait sans nostalgie les hivers engourdis de sa jeunesse. En France, la période hivernale réduisait à l'état de squelettes les arbres à feuilles caduques, plongeait dans la consomption les plantes à fleurs et répandait sur les villes l'âcre haleine des cokes et des anthracites. Aux Bahamas, arbres et buissons conservaient parure et couleurs. Déjà, dans l'attente d'un printemps fugitif, s'annonçaient en bourgeons orchidées, gardénias, azalées, lauriers-roses, œillets maritimes, ipomées, anthuriums, myrtes, qui, se relayant ou s'associant au long des semaines, fleuriraient l'île.
     
    Malgré ce bien-être physique, Charles ne pouvait parfois se défendre d'un étrange sentiment, jamais éprouvé jusque-là. Il lui arrivait soudain, alors qu'il rentrait seul d'un chantier par la route côtière, de s'arrêter et de s'asseoir sur un rocher comme s'il faisait en sorte de retarder inconsciemment le retour au foyer ou la libation au Loyalists Club. Le regard perdu sur la paisible mouvance bleue de l'océan, il se demandait ce qu'il faisait là.
     
    Rex, le labrador qui partout accompagnait l'ingénieur, s'affalait dans un soupir. Le museau sur ses pattes croisées, il levait vers son maître un regard où Charles croyait lire la même question.
     
    Se sentir brusquement étranger, presque un intrus sur cette île où était cependant ancrée sa vie, le mettait mal à l'aise, éveillait en lui des craintes indicibles. Les familiarités acquises au fil des années devenaient factices, irréelles, fabriquées, non comme la substance des rêves, mais comme un brutal transfert dans un monde dont il n'aurait rien su. Il avait l'humiliante sensation de vivre une vie postiche, apposée sur la vraie vie.
     
    Malgré les lettres qu'il adressait à sa mère, à son condisciple des Ponts et Chaussées, Albert Fouquet, au peintre bohème Lucien Grandioux dont les toiles, signées Diou, avaient maintenant une cote chez les marchands, ceux de qui il était séparé depuis dix ans ne pouvaient l'imaginer tel qu'il était devenu. Insulaire britannisé, il se surprenait à penser plus spontanément en anglais qu'en français, et s'irritait quand des mots de sa langue maternelle lui faisaient défaut en écrivant, alors qu'il continuait, pour ses travaux, à user du système métrique et à convertir les pouces en centimètres et les yards 1 en mètres.
     
    Ainsi l'intégration de Charles Desteyrac à la société insulaire s'était accomplie sans difficultés comme, ici, l'automne glissait vers l'hiver et l'hiver vers le printemps : dans une molle évolution.
     
    Charles savait que cette vague et épisodique sensation de ne pas être à sa place ne reposait sur rien. À Soledad, tout lui avait été offert : l'amour d'Ounca Lou, un fils qui promettait force virile et intelligence, de franches amitiés, la parfaite liberté d'exercer son art d'ingénieur, la sécurité financière, la possibilité de voyager

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