Retour à Soledad
fédéraux à Gettysburg et Vicksburg, véritables boucheries, ils maintiennent leur résistance. Cela crée une vive impatience, un désir d'en finir, que la population clame haut et fort, commenta Malcolm.
– Et la conscription donne à craindre que la guerre, telle une hydre assoiffée de sang, ne réclame encore des vies à dévorer, observa Ounca Lou, approuvée d'un hochement de tête par Lamia.
– La conscription est en effet très impopulaire. Horatio Seymour, le gouverneur de l'État de New York, l'a même déclarée illégale. Il entend faire appel à la Cour suprême pour qu'elle l'annule. Des hommes d'affaires comme notre cousin Jeffrey sont partagés entre les bons sentiments que l'on se doit de montrer à l'égard des nègres et la défense de leurs propres intérêts. Beaucoup ne profitent pas de la guerre, contrairement aux fournisseurs des armées qui amassent des fortunes. Votre frère, Henry Theodore, qui dirige, comme nous le savons, une importante société d'import-export, ainsi que les affaires que le regretté Kurt Picker, votre défunt mari, vous a laissées à Chicago, a vu ses relations avec l'étranger interrompues, et le trafic des passagers sur le lac Érié divisé par deux. Chez les antiabolitionnistes, notamment chez les émigrants irlandais, on considère que les nègres occupent des emplois qui devraient, en cette période de crise, être réservés aux Blancs, développa Malcolm.
– Mais cette émeute ? jeta Cornfield, ramenant son gendre aux faits.
– On se plaît à dire que le mouvement a été fomenté par des agents sudistes et des esclavagistes venus du Sud. J'ai entendu les émeutiers crier : « Mort aux nègres libres ! Mort aux abolitionnistes ! » En réalité, les violences ont été commises par des victimes des conséquences économiques de la guerre. Difficultés que la conscription va encore aggraver.
– Mais les faits, Malcolm, les faits ! insista lord Simon.
– Le tirage au sort avait commencé à New York le samedi 11 juillet. Le lundi, la première liste des conscrits retenus pour le service, publiée par les journaux, provoqua la colère des milieux populaires. Il apparaissait clairement que les hommes recrutés étaient, pour la plupart, des ouvriers, des gens de condition modeste, ceux qui ne pouvaient, pour trois cents dollars, s'offrir un remplaçant.
– En somme, le gouvernement américain vend les pauvres à bon marché pour éviter aux riches d'aller se faire tuer, alors que nombre d'entre eux profitent de la guerre en fabriquant ou en vendant des fournitures à l'armée fédérale ! observa le major Carver.
– C'est ce que répétaient les émeutiers. Mais, sans vouloir faire de peine à notre chère Ann, je dois dire que son frère, Henry Theodore, désigné par le sort pour servir dans l'armée, a préféré débourser trois cents dollars et rester chez lui plutôt qu'aller chercher la gloire sur les champs de bataille, ironisa Malcolm.
– Abandonner ses affaires et la gestion de l'héritage de sa sœur, dans une période si difficile pour tous, eût été une erreur, corrigea Ottilia avec un regard affectueux pour l'infirme.
– Ne défendez pas Henry Theodore, Otti. Mon frère a toujours dit qu'il ne risquerait pas sa vie pour les nègres, reconnut Ann.
– Je plains mon cousin Jeffrey. Il se trouve dans une situation délicate. Il n'a pas su se placer au bon moment dans les affaires d'armement ; ses filatures manquent de coton autant que les nôtres, et ses spéculations n'ont pas été heureuses, d'après ce qu'il m'a écrit, constata lord Simon.
– Mon père est en effet assez inquiet pour l'avenir de ses affaires. Mais il vous est reconnaissant de l'avoir bien conseillé dans le projet du chemin de fer est-ouest, dit Ann.
– Votre père admire beaucoup un banquier new-yorkais nommé John Pierpont Morgan. Ce financier, qui a des liens avec la banque Peabody, à Londres, a acheté de l'or pour plus de quatre millions de dollars. Prudent, il en a aussitôt envoyé une bonne partie en Angleterre. Preuve qu'il n'a guère confiance dans l'avenir de l'Union ! ajouta Murray.
Ottilia se tourna vers Mark Tilloy.
– Notre cousin regrette aussi, je crois, d'avoir, il y a sept ans, renoncé à fonder sa compagnie de navigation, parce qu'aujourd'hui le commodore Cornelius Vanderbilt loue à prix d'or ses bateaux à l'armée fédérale,
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