Retour à Soledad
répliqua Varina.
– Comme je vous envie, chère Winnie ! Clouée sur ma chaise, je prendrai plaisir à ce que vous voudrez bien me raconter de vos aventures, soupira Ann.
– Je vous dirai tout, promis ! Et puis, quand je serai installée, peut-être en France ou en Italie, là où les gens sont de mœurs plus libres, sans préjugés, plus gais, vous pourrez me rejoindre et nous rirons ensemble, dit Winnie avant d'embrasser fougueusement l'infirme.
La future divorcée offrait certes un bel éventail de défauts, mais elle avait des élans généreux. Pendant tout son séjour à Soledad, elle s'était montrée pleine d'attentions pour Ann Cornfield à qui la paralysie des jambes interdisait une vie active. Très loquace et d'un naturel enjoué, la Sudiste avait su distraire l'infirme et s'en faire aimer. Intarissable sur les aléas de la vie de plantation, elle racontait barbecues et bals, intrigues amoureuses dont elle était souvent l'héroïne, duels de Cavaliers pour un regard trop appuyé, démêlés avec les esclaves de la maison. Chaque matin, Varina arrivait aux anciennes écuries à l'heure du breakfast, trouvait toujours une promenade à proposer sur une des cent plages de l'île, et ne craignait pas, dans les criques désertes, de se baigner nue devant l'infirme, qu'elle aspergeait d'eau de mer pour la rafraîchir. L'après-midi, elle réapparaissait à l'heure du thé. Les deux femmes faisaient de la musique, jouaient au jacquet, peignaient des aquarelles et échangeaient les potins glanés par l'une et par l'autre au cours de la journée. Varina n'avait rien caché à son amie de sa relation avec Murray. « Ça ne nous engage ni l'un ni l'autre, et, pour moi, c'est en attendant mieux ! » avait-elle jeté avec désinvolture. Le plus souvent, les deux femmes dînaient tête à tête et Winnie ne quittait Ann qu'après l'avoir aidée à sa toilette, avoir brossé ses longs cheveux et préparé sa couche pour la nuit.
Aussi Ann Cornfield fut-elle la seule personne sur Soledad à regretter le départ de la cousine par alliance de lord Simon. Craignant, comme tous les insulaires, l'arrivée des ouragans, Varina fit ses bagages fin août et s'embarqua pour Nassau en compagnie de Malcolm Murray. L'architecte s'était découvert des affaires urgentes à traiter dans la capitale de l'archipel.
Lord Simon confia à Edward Carver et à Lamia, venus organiser avec lui la cérémonie de leur prochain mariage, qu'il préférait que le mari d'Ottilia fît ses frasques ailleurs qu'à Soledad.
Au cours de l'automne 1863, on vit souvent, sur les chemins du Cornfieldshire, Pacal chevaucher avec aisance son cob à la robe aubère, à côté de lord Simon qui montait son grand demi-sang gris.
En quelques semaines, l'enfant avait acquis assez d'assurance pour régler les allures de sa monture, passant du pas au trot et du trot au galop. Lord Simon, auteur dans sa jeunesse d'une Method for Riding and Hunting 2 , catéchisme pour tous les cavaliers chasseurs de renards, tenait à faire lui-même l'éducation équestre de son petit-fils. Il se montrait intransigeant sur la tenue en selle et prônait l'assiette de chasse anglaise, qui consiste à s'asseoir le corps droit au plus profond de la selle, main basse sur le pommeau, talon descendu à l'étrier. Quand Pacal, au prix de quelques chutes et réprimandes, eut acquis les réflexes satisfaisants, Percy Fili-Fili, du village des artisans, fut convoqué à Cornfield Manor pour prendre les mesures de l'enfant. Tailleur de la bonne société du Cornfieldshire, Fili-Fili trouva le fils de Charles très grand pour son âge. Lord Simon exigea pour son petit-fils une tenue d'équitation identique à la sienne, car un country squire 3 ne montait pas « vêtu comme un paysan ». On retint donc pour Pacal jodhpurs, chemise de batiste, cravate de soie blanche, gilet en peau de taupe, veste vert empire à col de velours gris.
Deux semaines plus tard, coiffé d'un melon gris huître, chaussé de bottillons de cuir fauve à revers de cuir vernis noir, ganté et pourvu d'un stick, l'enfant apparut comme une réplique réduite de son grand-père.
– Vous manque que la moustache ! dit le palefrenier en aidant Pacal à se mettre en selle.
Si Ounca Lou, comme lady Lamia, trouva son fils superbe dans cette tenue so British , n'hésitant pas à le comparer à un jeune seigneur paré pour la chasse à courre, Charles ne cacha pas, à
Weitere Kostenlose Bücher