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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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village des artisans où, campé sur Pantin, le jeune Desteyrac faisait toujours une entrée remarquée. Tandis que lord Simon poursuivait de longs conciliabules avec Uncle Dave en buvant du vin de palme fermenté, Pacal allait voir le menuisier fabriquer des tabourets, le sculpteur polir de petits disques de corail qui, percés et suspendus à un lacet de cuir, seraient vendus comme pendentifs indiens aux clients du Royal Victoria Hotel, à Nassau. L'intéressait tout autant le travail des femmes, habiles à tresser des chapeaux de paille de sisal ou à confectionner des paniers. Au General Store, il achetait, avec un penny donné par son grand-père, des bâtonnets de guimauve, dont le suc lui jaunissait les dents et les lèvres.
     
    Privé de promenade les jours de forte pluie, lord Simon ouvrait à son petit-fils la bibliothèque de Cornfield Manor. L'enfant feuilletait les ouvrages de chevalerie, les albums illustrés consacrés aux chevaux, aux chiens, à la chasse du renard ou du cerf, ainsi que le Traité complet des blasons et de la science des armoiries , plein de petits dessins composés, coloriés et incompréhensibles.
     
    – Qu'est-ce que ces images ? demanda Pacal un après-midi.
     
    – Ces images sont des blasons portant des armoiries. Quand, autrefois, les seigneurs combattaient à cheval, en armure et la tête protégée par un heaume de fer, il était difficile de les différencier. Alors, ils peignaient sur leur bouclier ou écu une marque personnelle, qu'on appelait armoiries. Elle permettait à la piétaille de les reconnaître pendant la bataille et à leurs ennemis de savoir à qui ils avaient affaire. Car les armoiries des plus fameux chevaliers étaient connues, et personne ne pouvait les copier. Aujourd'hui, les familles nobles ont conservé les armoiries de leurs ancêtres et c'est pourquoi tu vois celles des Cornfield sur tout ce qui nous appartient : aussi bien les voitures que les harnais des chevaux, l'argenterie et les assiettes.
     
    – C'est une image que je comprends pas bien, dit Pacal, posant le doigt sur une reliure où figurait le blason du lord.
     
    – Un blason se lit comme une phrase, mon garçon. Mais, pour ce faire, il faut connaître la science des armoiries. Ainsi nos armoiries s'énoncent : « D'azur au rocher d'or mouvant d'une mer d'argent et un chef de pourpre chargé de trois épis d'or ».
     
    Devant l'air ébahi de l'enfant, lord Simon crut nécessaire de lui révéler les rudiments de l'héraldique. Pacal découvrit ainsi que les couleurs avaient sur les blasons des noms bizarres, que le bleu s'appelait azur, le rouge gueule, le vert sinople, le noir sable, et que des métaux comme l'or et l'argent entrent aussi dans la composition des armoiries, ainsi que des fourrures comme l'hermine et le vair.
     
    – Et pourquoi votre ancêtre a choisi ce dessin qu'on voit sur les assiettes et les cuillers ?
     
    – Et aussi sur ma chevalière, dit l'aïeul, montrant la bague qu'il portait à l'annulaire gauche. Ce blason est la marque de notre famille. C'est mon grand-père qui l'a dessiné quand il a été fait baronet par le roi. Quand je veux cacheter une lettre, avant que la cire soit durcie, j'y imprime mes armes, gravées en creux sur ma bague. Et cette bague, à ma mort, te reviendra, car ces armes sont aussi les tiennes, Pacal.
     
    – Je comprends que ce dessin veut dire quelque chose, mais quoi ?
     
    – Le rocher d'or sur la mer d'argent, qui se découpe sur le ciel bleu, c'est notre île de Soledad ; et les trois épis d'or du chef illustrent notre nom.
     
    – Ça, je sais, parce que marraine Lamia m'a déjà dit qu'en anglais, Cornfield, c'est comme champ de blé en français.
     
    – Mes ancêtres possédaient des terres à blé, d'où leur nom, en effet.
     
    – En somme, vous êtes lord Simon Champ-de-Blé. C'est joli, conclut Pacal.
     

    Pendant que son fils parcourait l'île avec lord Simon ou étudiait les sciences avec sa mère, le latin et la Bible avec Margaret Russell, l'anglais avec lady Lamia et le piano avec Ann Cornfield, qui avait pris la succession d'Ottilia, dès février 1865, Desteyrac remettait en état la voie de chemin de fer, abandonnée depuis quatre ans. Prompte à défendre son territoire contre des matériaux intrus, la nature tropicale avait recouvert cette voie d'un épais tapis végétal. Certains rails avaient même été soulevés par les racines puissantes des pins caraïbes.
     
    Sima,

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