Retour à Soledad
quand doit-elle se livrer à ces exercices de sorcellerie ?
– Eh bien, Tilloy, Uncle Dave et Ann souhaitent que ce soit vous, pour qui le cacique a beaucoup de considération, qui organisiez la rencontre. Naturellement, j'ai accepté en votre nom et place, révéla timidement Ounca Lou.
– Que voilà une belle tâche, ma chère ! Savez-vous qu'il faudra des semaines avant que la voie du chemin de fer soit remise en état ? Votre père vient chaque matin se rendre compte de l'avancement du chantier. Depuis que Bob lui a acheté une locomotive à Pittsburgh, il ne tient plus en place. C'est comme si elle devait arriver demain ! Or, vous n'ignorez pas qu'avec Maoti-Mata, les affaires ne se règlent pas en un jour. Il va falloir que j'aille palabrer des heures avec lui pour qu'il oublie qu'Ann a, jusque-là, dédaigné son offre de soins, et qu'il se décide à nous faire la grâce de la recevoir, expliqua Charles, un peu agacé.
– Vous connaissant, je n'ai pas un instant pensé que cela pût vous déplaire, dit Ounca Lou, l'air contrit.
– Pardonnez ma réaction. Il est bien évident que je vais m'occuper d'Ann. Mais, voyez-vous, j'ai peur que ce sacré chemin de fer ne nous cause encore des ennuis et que lord Simon ne soit une nouvelle fois déçu.
– Par exemple si sa locomotive tombe à la mer, comme celle du Cubain ? suggéra Ounca Lou.
– Non pas. À mon avis, les ennuis commenceront quand le train roulera entre le port occidental et Southern Creek ! répondit Charles.
Un matin d'avril, Ann prit place dans le landau des Desteyrac et, accompagnée d'Ounca Lou et de Charles, se rendit au village des Arawak. Le cacique, entouré de plusieurs de ses filles, la reçut avec gravité.
– Mon enfant, nous allons prendre soin de vous. Mais, avant de vous soumettre à une pratique que certaines de nos femmes se transmettent de génération en génération, il faut préparer votre esprit. C'est souvent dans la tête que se décide la guérison de l'inertie du corps. Le docteur Kermor m'a dit que le sang circule bien dans vos membres, que seuls vos nerfs de commande ne fonctionnent plus. Nous vous aiderons à croire qu'ils peuvent agir à nouveau. Mais si vous ne pensez pas cela possible, si votre esprit doute, nos femmes n'obtiendront aucun résultat.
– Autrement dit, c'est en partie la foi qui sauve, observa Charles pour conforter l'argumentation du cacique.
Il fut aussitôt décidé que l'infirme allait être installée dans une des cases rondes du village. En attendant la pleine lune – qui, d'après Maoti-Mata, présidait aux changements du mouvement des humeurs dans le corps humain –, Ann ne recevrait aucune autre visite que celles des femmes arawak désignées pour la préparer à une intervention qui faisait appel à des pratiques secrètes, connues des seuls Taino.
– Des pratiques qui respecteront l'intégrité de votre personne, crut bon de préciser le vieil homme, lisant la crainte dans le regard d'Ann.
Après que la fille de Jeffrey Cornfield eut disparu, résignée, entre deux femmes dont les longs cheveux rabattus sur le visage dissimulaient les traits, le cacique reconduisit les Desteyrac à leur voiture.
– Nous enverrons un de mes fils vous prévenir quand l'opération sera décidée. Aucun homme ne pourra y assister, mais notre sœur Ounca Lou, de qui le sang arawak fait la beauté, sera la bienvenue, conclut le cacique en s'inclinant.
Ce soir-là, à Valmy, Ounca Lou dut rassurer Tilloy quand il apprit qu'on avait laissé Ann au village des Arawak pour une mystérieuse préparation.
– On ne fera aucun mal à notre amie Ann, assura Ounca Lou.
– Je connais assez le vieux Maoti-Mata pour savoir qu'il se conduira paternellement, mais je n'attends aucun miracle de ses sorcelleries, avoua Mark.
– « Quand, avec les Arawak, nous traitons des maladies et des remèdes, nous devons oublier nos sciences de Blancs pour laisser se manifester d'autres forces dont nous ignorons tout », m'a confié Uncle Dave, rapporta Charles.
– Oui. Et nous devons alors chasser de notre esprit tout sentiment d'incrédulité, compléta Ounca Lou avec conviction.
Au soir de la pleine lune, un messager vint prévenir l'épouse de Charles Desteyrac qu'elle devrait se présenter le lendemain, avant l'aube, au village des Arawak. Alors que les étoiles pâlissaient dans le ciel bleu foncé, c'est
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