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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l'assaillit comme une invisible présence, qu'il s'abandonna. Longtemps allongé sur le lit, haut lieu secret des échanges amoureux, il pleura sans retenue. Désormais, seul son fils justifiait encore sa présence sur une île où le destin l'avait conduit pour construire un pont meurtrier.
     

    Un matin d'automne, sous un ciel bleu cendré où floconnaient des cumulus, le cercueil contenant le corps de Mme Desteyrac fut extrait de la tombe provisoire et placé dans une grande calèche dont les sièges avaient été retirés. C'est dans cet équipage qu'Ounca Lou franchit pour la dernière fois le pont de Buena Vista. Pour Charles, le bâtisseur de l'ouvrage, ce fut une nouvelle épreuve. Dans le grand landau armorié des Cornfield, devant lord Simon et Lamia assis en face de lui, où Pacal avait pris place près de son père, il s'insurgea.
     
    – Si la nature avait détruit ce pont, au lieu de lui concéder une fallacieuse sécurité, Ounca Lou et Eliza n'auraient pu quitter Buena Vista ! regretta-t-il à haute voix.
     
    Suivi par un cortège de voitures, le corbillard improvisé, tiré par des chevaux à robe noire, portant plumets de deuil, prit la route côtière et parcourut l'île de Southern Creek – où Charles avait vu Ounca Lou pour la première fois – jusqu'au port occidental où elle avait fait, un mois plus tôt, ses adieux au voyageur.
     
    Par le mystérieux réseau qui, à Soledad, propageait les nouvelles, toute la population de l'île connaissait le jour et l'heure de cette translation. Tout au long des chemins, dans la traversée des villages, les insulaires avaient abandonné leur travaux de réfection pour saluer au passage celle qui unissait, dans sa personne mortelle, la race des Arawak à celle des Blancs. Tous ces îliens, même les plus simples, pressentaient que Pacal, l'orphelin au teint mat, cheveux de jais, yeux bridés et regard ferme, buste droit dans son habit noir, de qui ils louaient entre eux à voix basse la dignité presque orgueilleuse, serait le continuateur de ce métissage si décrié par les puritains américains. Ce petit-fils d'aristocrate les rassurait car tous découvraient, jour après jour, que les réfugiés sudistes, aussi arrogants qu'amers, contraints de renoncer à l'esclavage, n'accordaient pas pour autant égalité et considération à ceux qu'ils nommaient gens de couleur.
     
    Devant le convoi, les enfants jonchaient la chaussée de palmes et de fleurs de poincianias, présentes toute l'année. En approchant du village des Arawak, lord Simon ordonna une halte sur la place, ce qu'attendait Maoti-Mata. Escorté de son innombrable famille, le vieux cacique déposa sur le cercueil un diadème de plumes de flamant rose et d'aigrette blanche.
     
    – C'est le diadème de cérémonie des jeunes filles chez les Arawak, glissa Lamia à Charles.
     

    Au port occidental, devant le Phoenix – Union Jack en berne, à mi-drisse, et marque blasonnée des Cornfield cravatée de crêpe – attendaient le pasteur Russell et le père Taval. L'anglican lut un psaume, le catholique récita le De profundis , et le cercueil fut embarqué devant l'équipage au garde-à-vous. Lewis Colson qui, la veille, avait fait inhumer sa femme dans le cimetière marin du Cornfieldshire, commanda l'appareillage, et le trois-mâts blanc prit la mer.
     
    À Eleuthera, le cercueil, porté par les charpentiers irlandais de Tom O'Graney, fut mis en terre dans une fosse ouverte à côté de la sépulture de la mère d'Ounca Lou. Ainsi une Cornfield reposerait près de la fille d'une pure Arawak et d'un descendant des premiers colons d'Eleuthera.
     
    Charles revécut par la pensée ce jour du printemps 1856 quand, devant cette modeste tombe entourée d'une barrière blanche, Ounca Lou, de qui il crut sentir le bras passé sous le sien, lui avait dit : « Je souhaite, moi aussi, reposer ici. »
     
    Dix années s'étaient écoulées, brièveté dérisoire d'un bonheur sans brisure, qu'un sort impie lui dérobait.
     
    À son côté, devant les tombes, se tenait le vieil aristocrate de qui la consternation, peut-être alourdie de remords, impressionna Charles. Celui qui avait longtemps voulu ignorer l'existence d'une fille née d'une amourette coloniale sans importance, ferma les yeux et se mit à réciter :
     

    – Ne redoute plus l'éclair et sa flamme,
    Ni le tonnerre effrayant qui tombe ;
    Ne crains pas calomnie, et blâme injuste ;
    Tu en as fini de plaisirs et

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