Retour à Soledad
américaines, quand une unité de la Royal Navy faisait escale à Soledad. Car lord Simon, connu de toute la marine britannique pour la qualité et le confort de son accueil, ne refusait jamais l'entrée de ses ports à un vaisseau de Sa Très Gracieuse Majesté.
Le HMS Hawk 1 , frégate de l'escadre des West Indies commandée par John Maitland – « le plus séduisant marin des Caraïbes », disaient les dames de Kingston – ne manquait jamais de toucher l'île pour faire provision d'eau douce, de légumes et de fruits. Venant de Norfolk, en Virginie, le navire regagnait sa base, à la Jamaïque, quand il se présenta au port occidental, le dernier jour de juin 1858. Le commandant du Hawk et son état-major furent, comme toujours, chaleureusement accueillis et abreuvés au Loyalists Club. C'est par John Maitland que Desteyrac et ses amis apprirent que la question de l'esclavage divisait de plus en plus l'opinion aux États-Unis.
– Les planteurs du Sud ont su, il y a quelques jours, que le militant abolitionniste John Brown, qui, il y a deux ans, fit massacrer une famille propriétaire d'esclaves dans le Kansas, avait réuni en secret, les 8 et 9 mai, à Chatam, dans l'Ontario, douze Blancs et trente-deux Noirs avec l'idée folle de fonder une république abolitionniste dans les Alleghany ! Elle devrait servir de base à la lutte armée contre l'esclavage, révéla l'officier.
– Seul un illuminé peut avoir une idée pareille, observa le major Carver.
– Les illuminés, s'ils sont convaincants, peuvent devenir dangereux, et j'ai vu, à New York, des abolitionnistes capables de soutenir ce Brown, dit Tilloy.
– En attendant, les échos de cette nouvelle initiative de John Brown, répandus en Virginie, en Georgie, dans les Carolines et en Louisiane, renforcent le camp de ceux qui veulent séparer les États cotonniers de l'Union. Ils accusent le gouvernement de Washington de mansuétude coupable à l'égard des militants abolitionnistes, et de ce Brown en particulier que la police n'a même pas l'ordre de rechercher, compléta l'officier.
– Le New York Tribune rapporte ces jours-ci, sous le titre : « Une maison divisée », le discours, « d'une lucidité toute française », écrit le journaliste, qu'a prononcé à Springfield, le 16 juin, un certain Abraham Lincoln. Cet homme, qui fut membre de la Chambre des représentants des États-Unis, est maintenant candidat républicain au Sénat de l'Illinois contre le démocrate Stephen A. Douglas, révéla le major.
Il fit signe à Sharko d'apporter le journal agrafé à une baguette de bois et mis, comme d'autres, à la disposition des membres du club.
– Voici ce qu'il a dit, reprit Edward Carver, donnant lecture d'un texte qu'il retrouva aisément : « Nous sommes maintenant largement entrés dans la cinquième année d'une politique avec le but avoué et la promesse assurée de mettre fin à l'agitation sur l'esclavage. »
– Il faisait allusion, bien sûr, au conflit Kansas-Nebraska entre esclavagistes et abolitionnistes, interrompit Tilloy.
– Peut-être, mais Lincoln a aussi écrit : « Une maison divisée contre elle-même ne peut se maintenir. Je crois que ce régime ne pourra pas durer indéfiniment ainsi, mi-esclavagiste, mi-libre. Je ne pense pas que l'Union sera dissoute. Je ne m'attends pas à ce que notre maison s'effondre. »
Retenant d'un geste les commentaires que chacun était prêt à faire, le major acheva sa lecture :
» En concluant, Lincoln a donné son opinion : “Bien qu'un nègre ne soit pas mon égal sous plus d'un aspect, il a droit à la vie comme moi, à la liberté, à la poursuite du bonheur. Mais ce n'est pas parce que je ne veux pas faire d'une négresse une esclave, que je doive souhaiter en faire ma femme !”
– C'est bien là l'opinion des honnêtes gens. La liberté pour les nègres ne signifie pas qu'on veuille les admettre dans nos familles. La séparation des races est et doit rester une loi naturelle, observa le pasteur Russell.
– Les abolitionnistes raisonnables estiment que le renvoi des nègres dans leur pays d'origine serait la meilleure solution. Des philanthropes ont déjà fondé une société pour organiser le retour en Afrique de ceux que les négriers y ont autrefois enlevés de vive force, précisa le docteur Weston Clarke.
– En attendant, malgré tous les accords entre pays civilisés, la
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