Retour à Soledad
blanc, conféraient à l'ensemble une élégante simplicité. À l'intérieur, salon, salle à manger et chambres avaient été garnis par du mobilier offert par lady Lamia ou tiré des resserres de Cornfield Manor. Le style Chippendale triomphait dans toutes les pièces, sauf dans le vaste cabinet de travail du maître de maison. Celui-ci ouvrait sur la façade postérieure avec, en perspective, le mont de la Chèvre. L'ingénieur y avait installé table à dessin, bibliothèque et classeurs, après avoir fait venir de son bungalow de célibataire, maintenant occupé par Mark Tilloy, la grande table en pin caraïbe et le large fauteuil d'acajou que le major Carver avait fait fabriquer pour lui au lendemain de son arrivée à Soledad.
La cuisine, les celliers, l'office et les logements de Timbo, de l'ancienne nourrice d'Ounca promue cuisinière, de la jeune nurse de Pacal et d'une femme de service, occupaient le sous-sol comme dans la plupart des résidences insulaires de ce type. Derrière la maison, les communs abritaient buanderie, lingerie et glacière. On y trouvait aussi l'écurie et la remise des voitures. Un landau, laqué comme une boîte à thé chinoise, aux portières frappées du blason des Cornfield, cadeau de lord Simon, voisinait avec le dog-cart dont Charles continuait à user pour ses déplacements professionnels. Zéphyr avait été rejoint par deux alezans, nés au haras de Cornfield Manor, qu'on attelait au landau.
Ounca Lou s'était étonnée que son mari voulût conserver la maisonnette de Pink Bay, autrefois nommée par Mark Tilloy Little Manor, où il avait conçu le pont de Buena Vista. Charles ne cacha pas qu'il pourrait être conduit à s'isoler pour réfléchir sur place aux multiples projets du lord touchant le sud de l'île. « Et puis, n'est-ce pas là que nous nous sommes connus et aimés ? » avait-il ajouté, justifiant ainsi, par le souvenir de leur rencontre, le besoin de solitude qui, parfois, l'étreignait.
Pendant l'hiver, Charles, assisté de Sima, de Tom O'Graney et de deux fils de Maoti-Mata, formés par ses soins à l'arpentage, avait repéré un parcours possible pour la voie ferrée nord-sud que souhaitait Cornfield. Sur la côte est de l'île, la plus abritée, côté intérieur de l'archipel, celle-ci partirait du port occidental, passerait par le bourg où résidaient marins et employés blancs et mulâtres, marquerait un arrêt au village des artisans qui, avec plus de cinq cents habitants, prenait maintenant l'aspect et l'ambiance d'une petite ville. De là, le train roulerait vers le village des Arawak. À la demande de lord Simon, on y bâtirait un quai et une halte abritée. En échange d'une autorisation sollicitée par pure courtoisie et accordée de même par Maoti-Mata pour la traversée par la voie ferrée d'une terre que le cacique considérait encore comme propriété tribale, Cornfield avait pris cet engagement.
« C'est le jeu que je joue depuis des lustres avec Old Gentleman. Nous ne sommes dupes ni l'un ni l'autre, mais il m'a toujours été reconnaissant de mon attitude respectueuse pour les premiers occupants de l'île. Cela prouve et confirme son autorité sur les Indiens, ce qui, parfois, nous est fort utile », avait expliqué lord Simon.
Partant du camp des Arawak, la voie ferrée frôlerait ensuite le village des pêcheurs, épouserait les courbes de Sharks Bay et de Pink Bay, pour trouver son terminus à South Creek, à peu de distance du pont de Buena Vista. « En tout, une vingtaine de miles de voie ferrée sont à construire : réseau lilliputien, comparé à ceux des États-Unis », avait précisé Charles dans sa lettre à Robert Lowell. Par retour du courrier, l'ingénieur, retenu à Pittsburgh jusqu'à l'été par des travaux importants, avait annoncé son arrivée en juillet.
« Les directeurs de Keystone Works Bridges m'ont accordé six mois de congé et se sont engagés à fournir rails, aiguillages et matériel roulant pour votre chemin de fer miniature. Ici, on le voit comme le jouet d'un riche Anglais excentrique. Mais votre lord des Bahamas est fort respecté à Pittsburgh, parce qu'il détient des paquets d'actions dans les aciéries et les compagnies de chemins de fer de Pennsylvanie », avait écrit l'Américain.
En attendant l'arrivée de Bob Lowell, Charles fit accélérer l'élargissement et l'empierrement des voies côtières, sachant qu'elles seraient beaucoup utilisées
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