Retour à Soledad
pont de rectifier la position.
Seul le commandant Lewis Colson, chef de la flottille Cornfield, fut invité à suivre le lord. Le major Carver, Philip Rodney, Malcolm Murray, Charles Desteyrac et d'autres durent attendre que Cornfield eût regagné le quai après avoir visité le bateau et félicité Mark Tilloy pour la bonne tenue de l'équipage anglais, recruté à Liverpool.
À bord de ce navire de fer dominait une forte odeur de charbon brûlé, mêlée à celle des peintures encore fraîches. Comparées aux appartements du Phoenix , les six cabines ressemblaient à des cellules de moine, car seules la salle à manger et le salon avaient été meublés, de façon rustique, pour la traversée.
Mark Tilloy tint à montrer la chaudière de cuivre, dernière création des ingénieurs du génie maritime, et la machine qui, développant plus de mille chevaux, autorisait par tous les temps une vitesse d'au moins treize nœuds.
– Ah ! ce n'est pas le yacht à vapeur du commodore Cornelius Vanderbilt, le North Star . Je l'ai vu à New York : plus de deux cent cinquante pieds de long, trente-neuf de large, deux roues de plus de trente pieds de diamètre, dix cabines, et partout un luxe digne du palais d'un sultan ! Votre yacht n'est qu'un schooner amélioré, dit Philip Rodney, peut-être secrètement déçu que le nouveau navire eût été confié à Mark Tilloy, élevé par Cornfield au même grade que lui.
– Vous n'avez pas complètement tort, Philip. Ce bateau, inscrit aux Lloyds sous le nombre 271, comme un prisonnier de New Gate, n'est pas fini. Lord Simon n'est pas satisfait de notre coque grise, telle que livrée par les chantiers. Il veut du blanc pur, une frise d'or à l'avant et à la poupe, une figure de proue déjà commandée aux sculpteurs sur bois de Maoti-Mata. Il exige aussi que le pont soit entièrement parqueté de teck, et que les lisses de fer, « trop guerrières » à son goût, soient remplacées par des lisses d'acajou. Beaucoup de travail en perspective ! soupira Tilloy.
– Il me plaît assez que lord Simon veuille conférer à ce bateau de fer un décor et un confort de grand voilier, dit Colson, satisfait.
– Et il compte sur Murray pour donner « à chaque cabine un cachet différent et mettre partout de bons meubles anglais », cita Edward Carver qui avait recueilli les premières impressions de son ami.
Au soir de cet événement, les commentaires allèrent bon train au Loyalists Club où le retour de Tilloy fut copieusement arrosé. Convié à dîner par Charles, le nouveau capitaine fut accueilli par une Ounca Lou rayonnante. À son retour du port, lord Simon lui avait rendu visite et, après avoir joué un moment avec Pacal, lui avait demandé avec cérémonie, si elle accepterait d'être marraine de son vapeur, nommé Arawak en hommage aux premiers Lucayens.
– J'ai accepté, bien sûr, en mémoire de ma mère et de ses ancêtres indiens. Mais ce baptême ne pourra être organisé avant plusieurs semaines, m'a confié Simon – elle ne pouvait encore se résoudre à dire « mon père », et « lord Simon » lui paraissait de plus en plus réservé aux domestiques – car, ce sont ses termes : « Il faut d'abord faire de ce bel assemblage de ferraille un vrai bateau anglais », rapporta Mme Desteyrac en pouffant.
Si les journaux ne délivraient que de maigres informations sur la guerre que Français et Piémontais conduisaient en Italie contre les Autrichiens, on avait cependant appris à Soledad que des batailles meurtrières avaient eu lieu le 1er juin à Palestro, et le 24 à Solferino. Ce dernier engagement avait mis fin au conflit et, le 11 juillet, le traité de Villafranca, signé par l'empereur d'Autriche François-Joseph et Napoléon III, avait assuré le retour à la paix, promettant la formation d'une confédération italienne « sous la présidence honoraire du pape ».
En septembre, une lettre de Mme de Saint-Forin apporta à Charles des précisions sur cette campagne qui, d'après elle, « rehaussait le prestige de Napoléon III et de la France ». La mère de l'ingénieur se disait ravie d'avoir vu son fils Octave, le demi-frère de Charles, devenu colonel à l'état-major du maréchal Canrobert, défiler le 14 août sur les Grands Boulevards avec l'armée d'Italie. « Le peuple de Paris a acclamé l'empereur, ses maréchaux et les troupes, ainsi que les drapeaux déchiquetés
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