Retour à Soledad
impatienté, avaient donné l'assaut. Le combat avait été bref et Brown maîtrisé, comme ses derniers fidèles. Un de ses fils était mort, l'autre avait agonisé quelques heures avant de succomber en disant : « J'ai fait mon devoir tel qu'il m'apparaissait. »
Incarcéré, John Brown, condamné à mort le 2 novembre pour haute trahison, avait été pendu le 2 décembre à Charleston, capitale de l'État.
Au cours de la réception de Noël à Cornfield Manor, après un coup d'œil ironique à son mari, Ottilia dit :
– Eh bien, voilà une pendaison qui va rassurer Bertie III et la belle Varina !
– Certes, le plus fanatique des abolitionnistes est éliminé et les Sudistes doivent pavoiser, opina Charles.
– Pas autant que vous le croyez, dit Cornfield. J'ai reçu hier une lettre de Bertie III qui a définitivement renoncé à ramasser les excréments d'oiseaux de mer, mais que la popularité post mortem de John Brown rend furieux. Mieux vaut que vous connaissiez son opinion dans le cas où il nous confierait sa femme pour la mettre à l'abri, n'est-ce pas ? dit lord Simon avec un clin d'œil à Otti.
Tirant de sa poche une lettre froissée, il en commença la lecture.
» Mon cousin écrit donc : “La complicité de certains politiciens de Washington avec les abolitionnistes les plus violents ne fait pour nous aucun doute. Nous avons appris par un de nos agents que le 25 août, le secrétaire à la Guerre, John B. Ford, avait reçu une lettre anonyme le prévenant que John Brown aurait eu un plan pour susciter une insurrection des nègres en Virginie, précisément à Harpers Ferry, sur le Potomac. Le ministre avait refusé de tenir compte de cet avertissement. Le 8 novembre, soit six jours après la condamnation de Brown qui attendait, l'esprit en repos, d'être pendu, les philosophes du Nord se sont mis de la partie. Ralph Waldo Emerson, au cours d'une conférence, a qualifié Brown de saint et a dit : ‘Je voudrais que nous eussions assez de santé pour ne pas crier au fou quand passe un héros.' Quant à Henry David Thoreau, l'homme qui vécut seul dans une cabane au bord d'un étang, comme un Sauvage, à Concord, dans le Massachusetts, il a promptement rédigé un plaidoyer pour tenter d'éviter la corde à l'assassin. ‘Brown a accompli un haut fait plein de courage et d'humanité', ose-t-il écrire, et encore : ‘C'est la statue du capitaine Brown que j'aimerais voir orner la cour du parlement du Massachusetts, de préférence à celle de toute autre personne de ma connaissance.' Tous ces gens, réputés intelligents, veulent nous faire égorger par nos nègres !”
– Voilà une prise de position catégorique, commenta Carver.
Lord Simon reprit :
– Et mon cousin d'ajouter plus loin : « On dit que, dans les États du Nord, des parvenus qui vivent dans la sécurité, servis par des nègres libres parfois moins bien traités que nos esclaves, car libres de mourir de faim ou de froid, approuvent les discoureurs de Concord et les articles de The Liberator dont le fondateur, William Lloyd Garrison, avait déjà publiquement brûlé le texte de la Constitution ! »
– C'est là une pierre dans votre jardin, dit Desteyrac qui savait comment le lord soutenait de ses deniers l'organe des abolitionnistes.
– Attendez, mon cher Charles, vous n'êtes pas épargné non plus par Bertie III. Il écrit : « Dites à votre ami l'ingénieur français que nous autres, Américains des États du Sud, apprécions peu que M. Victor Hugo, le jour même de la juste pendaison de Brown, ait osé, par l'intermédiaire de plusieurs journaux d'Europe, adresser une harangue “Aux États-Unis d'Amérique”. Dans celle-ci – notre gouverneur a fait circuler une traduction –, le poète, qui croyait l'exécution remise au 16 décembre, a écrit : “Au point de vue politique, le meurtre de Brown serait une faute irréparable. Il ferait à l'Union une fissure qui finirait par la disloquer.” Et il a l'audace de conclure : “Oui, que l'Amérique le sache et y songe, il y a quelque chose de plus effrayant que Caïn tuant Abel, c'est Washington tuant Spartacus !” Mais on me dit que l'emphatique M. Hugo n'en est pas à une exagération près. Pour lui, “l'insurrection contre l'esclavage est un devoir sacré”, et les fils de Brown, qui périrent en tirant sur nos marines, sont des “saints martyrs”. J'ose espérer, mon
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