Retour à Soledad
augmenter encore leurs fâcheuses complications en nous imposant une cause de conflit », aurait fait ajouter la reine Victoria avant d'imposer à son Premier ministre l'attitude, plus conciliante, de son époux, lequel avoua en remettant le texte corrigé à sa royale épouse : « Je pouvais à peine tenir ma plume 5 . »
Ce n'est qu'après les festivités de fin d'année qu'on apprit, début janvier 1862, à Soledad, en même temps que la triste nouvelle de la mort du prince Albert, le 14 décembre à Windsor, l'heureux règlement de l'affaire du Trent .
Lord Simon fit encadrer d'un crêpe noir le portrait du défunt prince et décréta un jour de deuil pour honorer la mémoire de l'époux de la reine que les journaux disaient prostrée dans une profonde douleur.
On se réjouit en revanche du fait qu'une guerre entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, qui n'eût pas été sans conséquences pour les Bahamas, eût pu être évitée. Car, d'après les informations envoyées de Manchester par le beau-frère et associé de lord Simon, sir William, et de New York par le cousin Jeffrey, les deux nations avaient été, l'espace d'une semaine, au bord du conflit armé.
Tandis qu'Abraham Lincoln et son gouvernement tergiversaient pour libérer Mason et Slidell, l'Amirauté britannique avait mis en alerte la flotte de l'Atlantique et décidé l'envoi de huit mille soldats au Canada. Devant cette fermeté chargée de menaces, Lincoln avait dit : « Une seule guerre à la fois », et donné l'ordre d'élargir les prisonniers.
Remis à l'ambassadeur britannique, Mason et Slidell, embarqués à bord du HMS Rinaldo , étaient arrivés à Liverpool d'où les envoyés de Jefferson Davis purent rejoindre leur poste, l'un à Londres, l'autre à Paris.
Dans une longue lettre à lord Simon, William Gordon rendait compte des événements vus d'Angleterre.
« Quand on sut chez nous, écrivait-il, que le gouvernement américain cédait en expliquant que le capitaine du San Jacinto , Charles Wilkes, avait agi de son propre chef et capturé sans ordre les envoyés sudistes, les Anglais, à quatre-vingt-dix-neuf pour cent prêts à entrer en guerre, applaudirent dans les théâtres, au lendemain de Noël, la paix sauvegardée. Ils vouent, de ce fait, une reconnaissance supplémentaire à notre cher et regretté prince Albert, de qui ce fut la dernière et sage intervention dans la diplomatie de notre pays. Cependant, la nature de la véritable pression exercée sur Lincoln par notre Cabinet n'a pas été publiquement révélée. Vous savez que notre colonie des Indes est le principal fournisseur de salpêtre, ingrédient majeur dans la fabrication de la poudre à canon. Or, nous avions appris, à l'automne 1861, que l'artillerie nordiste ayant un besoin urgent de poudre, donc de salpêtre, William Henry Seward, secrétaire d'État, avait envoyé en mission secrète aux Indes un représentant de la compagnie Du Pont de Nemours, fabricant de poudre, pour acheter du salpêtre. À bord de cinq bateaux loués qui s'apprêtaient à prendre la mer, cet homme avait déjà fait charger deux mille trois cents tonnes du précieux minerai. Quand éclata l'affaire du Trent , notre gouvernement, informé par nos agents en Inde, mit l'embargo sur cette cargaison, ce qui priva les États-Unis de l'indispensable salpêtre. Cette mesure pesa au moins aussi lourd dans la reculade de Lincoln que l'envoi de militaires britanniques au Canada ! » concluait Gordon.
Jeffrey T. Cornfield, toujours prudent dans ses propos, avait regretté, lui, la formulation en forme d'ultimatum des exigences du gouvernement britannique, « ce qui donne ici le sentiment que l'Angleterre voit d'un bon œil la rébellion sudiste et même l'encourage », écrivait-il de New York. Puis, reconnaissant que Lincoln avait été contraint de céder, il rapportait un propos vengeur du président américain : « Les États-Unis auront l'occasion de prendre leur revanche sur la Grande-Bretagne quand la rébellion sera réduite. Nous pourrons alors lui demander des comptes pour tous les embarras qu'elle nous inflige 6 . » Sans accorder à Charles Wilkes le statut de héros national que lui avait un peu hâtivement attribué la presse américaine, Jeffrey Cornfield ne cachait pas sa satisfaction en annonçant : « Ce valeureux marin américain vient d'être promu commandant de l'escadre des West Indies, chargée d'assurer le blocus
Weitere Kostenlose Bücher