Retour à Soledad
sikh.
– On sait pas où est Ann, papa. Elle a peut-être tombé dans la mer. Elle va toujours au bord des rochers, à Sharks Bay, dit l'enfant.
– On ne la trouve nulle part et Lamia l'attend pour dîner chez Edward, compléta Ounca Lou.
– Peut-être est-elle allée chez Uncle Dave ? Il m'a dit il y a deux jours attendre sa visite au village des artisans, émit Charles pour rassurer son fils dont l'émotion le troublait.
– Ann n'est pas quelqu'un à oublier un dîner, observa encore Ounca Lou.
– Maintenant qu'elle se déplace seule avec la calèche transformée par Tom, elle peut avoir eu un accident. Être tombée et n'avoir pu se relever, admit Charles.
– Ne pensez-vous pas qu'elle aurait pu décider de mettre fin à ses jours ? Je la vois parfois si triste, si abattue, si absente, quand elle ne se sait pas observée, dit Ounca Lou.
– Papa ! On devrait aller voir à Sharks Bay, interrompit soudain Pacal.
Les époux échangèrent un regard et Charles ordonna à Timbo d'atteler le landau et de prendre des lanternes.
– Je passerai chez Carver, voir si Ann n'est pas simplement arrivée en retard, dit Desteyrac.
– Je peux venir avec vous ? sollicita Pacal.
– Tu dois bientôt aller au lit, mon garçon, rappela Ounca Lou.
– Pas la peine, je pourrai pas dormir si je sais pas, pour Ann, dit Pacal, tête baissée, gonflé d'émotion.
– Viens. Tu as de bons yeux. Et si tu es piqué par les moustiques, tant pis pour toi ! décida Charles.
– Attendez ! Je veux prendre mon sifflet indien. On l'entend de loin, s'écria l'enfant, détalant à travers la maison.
– Quel brave garçon nous avons là ! dit la mère, émue.
L'infirme n'avait toujours pas paru chez le major Carver qui décida de se joindre aux recherches avec Poko.
D'un commun accord, ils choisirent de passer par la résidence d'Ann pour s'assurer qu'elle n'était pas rentrée. Une surprise inquiétante les y attendait : Purity, traînant sa voiture vide, piaffait devant la porte de l'écurie.
– Elle vient d'arriver. Elle, pas couru. Elle a pas la sueur, m'sieur, dit Mabel.
– Si qu'elle pouvait parler, elle nous dirait où qu'est miss Ann, ajouta Angus en dételant la jument.
Un examen minutieux de la voiture ne révéla aucune trace d'accident.
– Cette ancienne calèche au plancher surbaissé ne peut pas verser. Et l'abattant arrière, qui traîne sur le sol, indique que notre amie a roulé sa chaise pour quitter la voiture. On peut donc raisonnablement éliminer une chute d'Ann de la calèche en marche, constata Charles.
– Faut aller à Sharks Bay, insista Pacal.
– Obéissons au commandant, dit le major Carver.
Ils se mirent en route, tentant d'imaginer des éventualités plus ou moins tragiques. Ils s'attendaient à trouver Ann gisant sur le bas-côté de la route empierrée.
Dans la claire nuit tropicale, une demi-lune offrait assez de lumière pour que l'on distinguât aisément, sitôt l'œil habitué, les champs, les buissons, les bosquets d'arbres.
– Regarde de chaque côté si tu vois quelque chose, conseilla Charles à son fils qui, les yeux écarquillés, se tenait debout dans le landau, cramponné au dossier du siège.
Parfois, un grand hibou à tête de singe, variété propre à l'archipel, protestait par un hululement rageur. Dérangé dans sa chasse aux rats dont il dévorait une douzaine chaque nuit, repas que lui disputaient les mangoustes, il quittait son observatoire des branches basses pour s'élever en un vol lourd vers le sommet d'un arbre. Les chauves-souris, intriguées par les attelages, bouclaient des huit au-dessus des têtes tandis que les cucuyos 4 zébraient la nuit d'un ballet d'éclairs. Takitok avait appris à Pacal comment enfermer ces insectes dans une bouteille pour en faire une lanterne. Le coassement des crapauds, le glapissement des rapaces, la rumeur composite, faite des chuchotements, sifflements, appels, bourdonnements de centaines de bestioles, attestaient d'une vie nocturne agitée sous les mangroves et dans les buissons.
– Une nuit à voi' so'ti' un chickcharnie 5 , dit Timbo à l'adresse de Pacal.
– Je voudrais bien en voir un. Takitok en a aperçu. Il dit qu'il a les yeux rouges, une barbe, des plumes vertes, trois doigts à la main et trois doigts au pied, et qu'il se suspend par la queue aux branches des
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