Retour à Soledad
timonier.
– Je laisse ces pondéreux aux autres. J'ai commandé à Londres des chapeaux de femmes, parce qu'à Richmond les modistes en sont réduites à faire des chapeaux en papier pour les mariées, lesquelles, comme on manque aussi de métaux précieux, reçoivent des alliances faites avec les derniers dollars en or ! Notre commissionnaire à Nassau attend des tissus, des bottes, des couvertures, du savon, du papier à lettres, du bismuth, des pilules digestives Cockle, des livres d'école, des romans de Walter Scott, des instruments de chirurgie et des béquilles, car il faut bien penser aux éclopés. Comme vous le voyez, mon cher Charles, j'importe et je vends de tout aux Sudistes, sauf, pour ne pas froisser vos intransigeantes convictions antiesclavagistes, des armes et des munitions ! énuméra Murray en donnant une bourrade à son ami.
Par beau temps, l' Arawak parcourait les deux cent cinquante milles qui séparent Nassau de Soledad en moins de vingt heures. Ce jour-là, un fort coup de vent entre Exuma et Cat Island retarda l'avancée du vapeur. Ce fut à l'aube du lendemain que Tilloy, avec une habileté manœuvrière qui eût réjouit son maître Lewis Colson, mit l' Arawak à quai.
Tiré du sommeil par le bruit des machines, le commandant du port reçut l'ordre de Malcolm Murray de faire porter caisses de whisky et de porto au Loyalists Club auquel l'architecte, qui se réservait thé et café, offrait ces produits afin, dit-il, « que tout le monde puisse en profiter ».
Quand se présentèrent les premiers débardeurs, rameutés par le commandant du port, Desteyrac fit décharger les précieuses pompes aspirantes, donna des ordres pour leur transport au village des artisans, puis se fit conduire à Valmy où Ounca Lou, déjà informée de son arrivée par Timbo, attendait son mari pour le petit déjeuner.
Quand Charles eut brossé, de l'animation nouvelle de Nassau, une description qui piqua la curiosité de sa femme, celle-ci lui apprit que, pendant son absence, le major Carver avait fait une chute de cheval et que Fish Lady s'était installée chez lui pour le soigner.
– Lamia me paraît fort inquiète, parce qu'elle craint que la chute d'Edward, qui va sur ses soixante-dix ans, ne soit pas due à un écart ou à une glissade de son cheval sur le pont de Buena Vista, comme il le soutient, mais plutôt à un vertige ou même à une perte de connaissance tandis qu'il se rendait chez elle, rapporta-t-elle.
– Ces deux-là finiront peut-être par où ils auraient dû commencer, c'est-à-dire par vivre ensemble ! dit Charles.
– Le pasteur Russell désapprouve, vous le savez, la cohabitation de personnes de sexes opposés qui ne sont pas mariées. Mais peut-être espère-t-il célébrer les noces du major et de Fish Lady, ajouta Ounca Lou, amusée.
Charles assista au lever de Pacal, toujours grincheux quand l'heure venait de reprendre contact avec les réalités de la vie. Il admira le corps bien proportionné de son fils, ses yeux bleu myosotis légèrement bridés, ses cheveux de jais, lisses et lustrés, héritage indien, comme ceux de sa mère. Il aurait cinq ans en juillet mais paraissait plus grand, plus fort, plus déluré que la plupart de ses camarades de même âge.
– Il aura de bons muscles. Vous en ferez un nageur et un pêcheur ; ses amis les Arawak en feront un athlète et un archer digne de Guillaume Tell ; lord Simon en fera un cavalier et un chasseur. Ma chérie, nous aurons pour fils un sportsman colonial ! dit Charles en prenant Ounca Lou dans ses bras.
– Et les études ? Y pensez-vous ? Pacal est très précoce. Il commence à lire en anglais, un peu en français, mais, dans quelques années, ne devrons-nous pas l'envoyer dans un collège aux États-Unis ? Cela me préoccupe quelquefois. Le temps passe si vite et il grandit si bien... Qu'en ferons-nous plus tard ?
– Un lord des Bahamas II, sans doute, plaisanta Charles pour cacher la gêne soudaine que lui causaient les propos d'Ounca Lou.
Il n'avait encore jamais pensé à l'avenir de son fils !
En allant vers le village des artisans, sa réflexion sur l'éducation future de Pacal le conduisit à reconnaître que, bien que prématurée, la préoccupation d'Ounca Lou méritait qu'il s'y arrêtât. Il se faisait fort d'enseigner à son fils les mathématiques, la géométrie plane et dans l'espace, l'algèbre, la trigonométrie,
Weitere Kostenlose Bücher