Retour à Soledad
la physique, la chimie, la résistance des métaux, toutes matières qu'il avait étudiées à Polytechnique et aux Ponts et Chaussées. Ounca Lou, nantie de diplômes du Rutgers College, l'instruirait dans les sciences naturelles, l'histoire et la géographie, dont elle était férue. Quant aux langues, Pacal les apprenait spontanément sur une île où l'anglais et l'espagnol étaient couramment pratiqués. Dans ce domaine comme en d'autres, lady Lamia se montrait bonne éducatrice. Ann commençait à l'initier au dessin et Ottilia prévoyait de lui inculquer le solfège, peut-être le piano, puisqu'il l'écoutait jouer avec ravissement.
Cependant, Charles Desteyrac ne voulait pas que l'on fît de Pacal un colon nanti, sans autre expérience que celle d'une vie insulaire protégée. Même si lord Simon considérait ce petit-fils inespéré comme le futur maître de l'île, Pacal devrait, un jour ou l'autre, être envoyé aux États-Unis ou en Europe pour obtenir ces diplômes qui, estimait avec un optimisme très français Charles Desteyrac, garantissent un homme contre les revers de fortune. Le mieux serait que Pacal suivît la même voie que lui, devînt ingénieur des Ponts, sans doute la meilleure formation pour gérer un jour ce territoire autonome, unique, nommé Soledad. Quant aux entreprises multiples et variées des Cornfield d'ici et d'ailleurs, ce serait au lord d'introduire son petit-fils dans ses affaires.
L'ingénieur dut consacrer une quinzaine de jours à la mise en place des pompes aspirantes à la surface de plusieurs trous bleus : Dog Hole, Mermaid Hole, Lusca Hole. Avec l'aide de son contremaître, le fidèle Sima, qui ne croyait plus aux monstres cachés dans ces trous bleus depuis qu'il avait plongé dans la fuente del Ángel pour dégager un scaphandrier, Charles put convaincre les Indiens qu'ils ne réveilleraient pas les esprits mauvais en maniant le levier d'une pompe. Il leur montra comment amorcer le pompage en mettant de l'eau dans le corps de la machine pour que le vide se fît et que l'aspiration se produisît. Femmes et enfants, émerveillés, virent alors jaillir, d'un tuyau, l'eau douce qu'ils devaient auparavant recueillir avec des seaux suspendus à des cordes.
– Dès le premier jet d'eau saumâtre, vous arrêtez le pompage, car cela signifie que toute l'eau douce a été tirée et qu'il faut attendre que la nappe se reconstitue par l'apport des sources et de la pluie à la surface de l'eau de mer, expliqua-t-il.
Puis il invita Sima à répéter la consigne en langue des Arawak et à veiller à son respect.
Le tuyau étant relié à Dog Hole, à l'est du village des Arawak, Maoti-Mata et les siens eurent le plaisir de voir l'eau douce emplir un bac de calcaire corallien, sur la place, devant sa demeure. Un des fils du cacique fut immédiatement préposé à la surveillance de la fontaine afin, proclama Old Gentleman, « que nul ne gaspille le précieux liquide que Monsieur l'Ingénieur Desteyrac, grand maître du progrès, fait venir jusqu'à nous ».
Lord Simon n'apparaissait que rarement au Loyalists Club, bien qu'il le parrainât avec générosité. Il réservait ses visites à l'occasion de la saint George et lors de l'anniversaire de la reine Victoria, que les membres du cercle célébraient avec force toasts et que le maître de l'île se devait de présider. Le gérant Sharko ne fut donc pas pris au dépourvu, le 24 mai, quand le vieux lord se fit annoncer. La souveraine britannique, toujours en grand deuil du prince Albert, son époux bien-aimé, entrait ce jour-là dans sa quarante-quatrième année.
Avant de porter le premier toast à la reine en souhaitant qu'elle trouvât consolation et sérénité auprès de ses nombreux enfants et continuât à régner pour la plus grande gloire et prospérité du Royaume-Uni et de son empire colonial, lord Simon profita du rassemblement de tous les notables et officiers de l'île pour évoquer le guerre civile américaine et ses conséquences.
– Je sais, dit-il, que Sa Très Gracieuse Majesté, notre reine, partage de tout cœur les souffrances qu'impose à plusieurs centaines de milliers d'ouvriers de nos filatures, et à leurs familles, le chômage dû à la pénurie de coton. Car notre industrie cotonnière nourrit, chez nous, au moins quatre millions de personnes. C'est une des conséquences d'un conflit où la Grande-Bretagne n'a aucune part ni responsabilité, et qui brise
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