Révolution française Tome 1
qu’ils
doivent… Des privilèges seront sacrifiés, la justice le veut, le besoin l’exige,
vaudrait-il mieux surcharger encore les non-privilégiés, le peuple ? Il y
aura de grandes réclamations… On s’y est attendu ; peut-on faire le bien
général sans froisser quelques intérêts particuliers ? Réforme-t-on sans
qu’il y ait des plaintes ? »
On n’a jamais entendu un ministre du roi parler ainsi, prendre
le parti du peuple, non pas au nom de la compassion, mais au nom de l’égalité
et de la justice.
Les notables s’indignent :
« Nous prenez-vous pour des moutons de nous réunir pour
avoir notre sanction à une besogne toute digérée ? »
Ils condamnent Calonne, son Avertissement , « indigne
de l’autorité royale qui ne doit jamais parler au peuple que par les lois et
non par une espèce d’écrit qui n’a aucun caractère… ».
Surtout, les notables se présentent comme les défenseurs de
la liberté et du droit, face à un pouvoir avide de pressurer le royaume.
« Monsieur de Calonne, dit l’un des membres de l’Assemblée,
veut encore saigner la France, et il demande aux notables s’il faut la saigner
au pied, au bras ou à la jugulaire. »
Et l’opinion est à ce point travaillée par l’esprit des
Lumières, l’hostilité au mode de gouvernement absolutiste, que tout discours
qui se réclame de la liberté et exige la représentativité des assemblées est
entendu.
Mieux ou pis, toute assemblée – et d’abord les parlements, qui
ne rassemblent que des privilégiés – vaut mieux que le pouvoir exécutif.
Et l’on entend à nouveau réclamer la convocation des États
généraux, et le doublement du nombre des députés du tiers état, et, revendication
décisive, le vote par tête et non par ordre.
Louis n’en veut pas.
Il reproche à Calonne ses propos excessifs, ses charges
contre les ordres privilégiés.
Ce contrôleur général des Finances pense, parle et écrit, comme
un pamphlétaire de la « secte philosophique » !
Voilà ce que disent les proches du roi, et d’abord
Marie-Antoinette, qui pousse Louis à se débarrasser de Calonne.
Et le roi, une fois encore, se dérobe au face-à-face avec
son ministre.
Calonne qui veut voir le roi s’entend répondre par le
premier valet de chambre, que Sa Majesté a défendu de le laisser entrer.
Et le 8 avril 1787, au nom du roi, on vient réclamer à
Calonne sa démission.
Le 30 avril, Louis accepte, pressé par la reine, de nommer
contrôleur général des Finances l’archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, qui
fut proche de Turgot, qu’on dit habile, capable de se concilier « le
suffrage des sociétés dominantes ».
Mais Louis XVI sait que Loménie de Brienne est l’un de ces
prélats de cour plus libertin qu’homme pieux.
Si Louis cède, c’est que la situation se dégrade, qu’il faut
agir vite.
L’Assemblée de notables vient de remporter une victoire avec
le renvoi de Calonne. Elle est confortée dans son refus des réformes.
L’opinion réclame le retour de Necker.
Les parlements sont dressés sur leurs ergots, prêts à défendre
bec et ongles leurs droits face au roi, en fait à protéger contre toute réforme
leurs privilèges, forts de l’appui que leur apporte l’opinion.
Et d’abord ces milliers de clercs de la basoche, diplômés et
crevant de faim, ces libellistes, ces gazetiers, ces « journalistes »,
et tout ce monde qui gravite dan chaque province, autour des parlements.
Dans ce milieu-là, celui des avocats, celui de la
franc-maçonnerie, des sociétés de pensée, on a lu Voltaire, applaudi
Beaumarchais et les « patriotes » d’Amérique, comme ceux de Hollande.
Et on déteste l’Autrichienne, Madame Déficit, dont le
cœur est à Vienne, capitale des Habsbourg, la plus absolutiste des dynasties
européennes.
Cette « fermentation des esprits » autour des
parlements gagne le milieu des artisans, des boutiquiers qui ont le sentiment
qu’ils sont « tondus » au bénéfice de ces « marquis » qui
festoient avec l’Autrichienne et qui ne se sont « donné que la peine de
naître ».
Et il y a tous ceux, le peuple innombrable, qui s’agenouillent
devant le roi, si bon.
Ces « sujets »-là ne se nourrissent que de pain, or
il est de plus en plus cher, en ces années 1787-1789, parce que les blés ont
souffert du froid, que le grain est rare, et son prix de plus en plus élevé.
Et pendant ce temps-là,
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