Révolution française Tome 1
dit-on de plus en plus fort, la
reine achète un collier de plusieurs centaines de milliers de livres, par l’intermédiaire
d’un de ces cardinaux qui osent invoquer le Christ, ce pauvre crucifié.
Et les prêtres, ce bas clergé qui connaît, côtoie et même
partage la misère des humbles, se sentent plus proches de ces pauvres
manouvriers que du cardinal de Rohan ou de Loménie de Brienne, archevêque de
Toulouse, libertin devenu chef du Conseil des finances, par la grâce du roi et
la volonté de l’Autrichienne.
Louis, même s’il ressent la difficulté de la situation, ne
mesure pas cette évolution de l’opinion.
Elle est comme une forêt sèche dont les sous-bois commencent
à brûler, et qu’un coup de vent peut embraser.
Marie-Antoinette soupçonne encore moins que son époux, malgré
les calomnies, les injures, les caricatures, les pamphlets qui la prennent
chaque jour pour cible, l’étendue et la profondeur de la réprobation et même de
la haine qu’elle suscite.
Elle est donc plus surprise que Louis lorsque, recevant avec
Louis Loménie de Brienne, ils l’entendent formuler le vœu de se voir adjoindre
Necker, et d’être autorisé à préparer la convocation des États généraux.
Louis est stupéfait, mais aussi terrifié.
« Quoi, Monsieur l’Archevêque, vous nous croyez donc
perdus ? Les États généraux ? Mais ils peuvent bouleverser l’État et
la royauté ! Et Necker ! Tout ce que vous voudrez hors ces deux
moyens. La reine et moi sommes tout prêts aux réformes et aux économies. Mais
de grâce, n’exigez ni Monsieur Necker, ni les États généraux. »
Mais il suffit de quelques semaines pour que le roi se rende
compte, avec effroi, que l’idée de la convocation des États généraux progresse
vite et s’impose peu à peu. Loménie de Brienne n’a rien obtenu de l’Assemblée
de notables, devant laquelle il a repris l’essentiel du plan de Calonne. Mais
les notables exigent d’abord que le contrôleur général des Finances soit surveillé
par un Comité ; autant dire que le roi perd la maîtrise des finances.
Inacceptable pour Louis XVI. Et le 25 mai 1787, le roi
dissout l’Assemblée de notables, ce qui aussitôt renforce dans l’opinion le
désir de la convocation des généraux. Ils rassemblent, dit La Fayette, « les
représentants authentiques de la nation ».
Et dans les gazettes on n’hésite pas à écrire :
« Pourquoi le roi ne serait-il pas en tutelle ?… Il
faut rappeler quelquefois les chefs des nations à leur première institution et
leur apprendre qu’ils tiennent le pouvoir de ces peuples qu’ils traitent
souvent en esclaves ! »
Ces gazetiers sont pour la plupart payés par telle ou telle
coterie, et celle du duc d’Orléans est la plus puissante. Le duc est cousin du
roi, mais ambitieux, jaloux, les souverains l’ont maintes fois blessé, et il se
présente en homme des Lumières.
Et « ses » gazetiers critiquent le roi, la reine, le
pouvoir monarchique, mais en même temps ils soutiennent les parlementaires, écrivent :
« Les notables ont montré que la nation existait encore. »
Louis qui imagine qu’il va pouvoir faire enregistrer les
édits réformateurs par le Parlement de Paris, en usant, si besoin est, comme il
en a le droit souverain, d’un « et de justice », qui impose l’enregistrement,
ne mesure pas, une fois encore, l’évolution de l’opinion.
Durant les mois de mai et de juin, le Parlement refuse d’enregistrer
l’édit créant l’impôt dit de « subvention territoriale » et il
déclare « que seule la nation réunie dans ses États généraux peut consentir
un impôt perpétuel ».
Le 6 août, le roi convoque à Versailles un lit de justice.
Il fait chaud dans la salle où s’entassent les
parlementaires. L’enregistrement des édits est obligatoire, mais pendant que se
déroule la séance, le roi s’endort, ronfle parfois, donnant l’image, en cette
période tendue, cruciale, d’un souverain à la fois méprisant et impotent.
Mais le 7 août, le Parlement de Paris déclare nul le lit de
justice de la veille.
Le 10 août, il décide l’ouverture d’une information
criminelle contre les « déprédations » commises par Calonne. Manière
de montrer sa résolution, d’avertir les ministres qu’ils ne sont plus
intouchables – et derrière eux le roi – et de les inviter ainsi à la modération
et au respect des prérogatives
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