Révolution française Tome 1
vaut laisser le doute et l’incertitude régner, rester le plus
longtemps possible insaisissable, que de se dévoiler.
Mais il faut bien composer cette Assemblée de notables, et
donc choisir les personnalités qui en feront partie.
Et aussitôt les pamphlets, les gazettes imprimés à l’étranger
et introduits en France, les caricatures, stigmatisent cette Assemblée qui ne
peut être qu’aux ordres, avec ses sept princes du sang, ses trente-six ducs et
pairs ou maréchaux de France, ses trente-trois présidents ou procureurs
généraux de parlements, ces onze prélats, ces douze conseillers d’État, ces
douze députés des pays d’État et ces vingt-cinq maires des principales villes
du royaume.
On évoque l’absolutisme, le despotisme même, on la compare
avec les assemblées qui se réunissent aux États-Unis, celles que veulent élire
les Suisses, les Flamands, les Hollandais.
Et dans tous ces pays les peuples ont conquis des droits, parfois
avec l’aide du roi de France qui les refuse à ses sujets.
La Fayette ou Mirabeau répètent qu’il faut une « vraie »
Assemblée nationale, et ils martèlent qu’il faut réunir les États généraux, mais
ils précisent que les représentants du tiers état doivent être aussi nombreux
que ceux réunis des deux ordres privilégiés, et que l’on devrait voter par « tête »
et non par « ordre ».
Et l’Assemblée de notables ne s’est pas encore réunie !
Louis est accablé. Il a l’impression que les digues qui
retenaient un flot puissant lâchent. Et ce qui déferle ne submerge pas
seulement le royaume de France, mais le monde, de Philadelphie à Liège, de
Genève à Amsterdam.
Il refuse d’aider les bourgeois hollandais qui se sont
rebellés contre leur stathouder. Devrait-il favoriser les adversaires de l’autorité
en Hollande, alors qu’il la défend ici ?
Mais le trouble, l’angoisse le gagnent, et même le désespoir.
Vergennes, son ministre des Affaires étrangères, meurt.
« Je perds le seul ami sur lequel je pouvais compter, dit-il,
le seul ministre qui ne me trompa jamais. »
Sa tristesse se mêle à l’amertume et à l’indignation quand
il découvre que plusieurs pamphlets accusent la reine d’avoir fait empoisonner
Vergennes !
Elle reprochait au ministre de l’avoir tenue à l’écart, plein
de défiance à l’égard de « l’Autrichienne », ne lui faisant jamais
part de ses projets, et elle l’accusait même d’avoir discrètement soutenu le
cardinal de Rohan dans l’affaire du collier.
Louis ressent ce que plusieurs fois déjà depuis qu’il est
roi, il a éprouvé, le sentiment que les « choses »
— le pouvoir, l’opinion, ses proches même, ses
ministres – lui glissent entre les mains, comme si l’un des outils qu’il manie
dans sa forge et sa menuiserie lui échappait au moment où il voudrait l’utiliser.
Il se replie sur lui-même, comme s’il voulait ainsi que le
flux des critiques, des attaques, passe sur lui, sans l’entraîner.
Il en veut à Calonne qui devant l’Assemblée de notables, pour
justifier ses réformes, cette égalité devant l’impôt, qu’il veut établir, dresse
un véritable réquisitoire contre la monarchie, les ordres de la noblesse et du
clergé qui en sont les colonnes.
Fallait-il que Calonne dise :
« Les abus qu’il s’agit aujourd’hui d’anéantir pour le
salut public ce sont les plus considérables, les plus protégés, ceux qui ont
les racines les plus profondes et les branches les plus étendues. Tels sont les
abus dont l’existence pèse sur la classe productive et laborieuse, les abus des
privilèges pécuniaires, les exceptions à la loi commune, et tant d’exceptions
injustes qui ne peuvent affranchir une partie des contribuables qu’en aggravant
le sort des autres. »
Il parle de « raison », de « justice », d’« intérêt
national », s’en prend ouvertement aux privilégiés de la noblesse, n’épargne
pas le clergé, « les ecclésiastiques sont par leur naissance, citoyens et
sujets », insiste-t-il. Il dénonce le nombre effrayant des « agents
du fisc », prêche pour ce nouvel impôt, la subvention territoriale, critique
la gabelle, et s’adresse directement à l’opinion, diffusant, le 31 mars, un Avertissement que commentent les journalistes à sa solde.
« On paiera plus sans doute, mais qui ? demande-t-il.
Ceux-là seulement qui ne payaient pas assez ; ils paieront ce
Weitere Kostenlose Bücher