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Ridicule

Ridicule

Titel: Ridicule Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Remi Waterhouse
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mais pour aussitôt retourner aux enjeux des tables. Ponceludon détaillait discrètement les moindres faits et gestes, en s’attardant aux bras nus des femmes qui, par leur grâce et leur détente animale pour prendre cartes et jetons, lui faisaient penser à des cygnes attrapant voracement du pain.
    — Je crois reconnaître votre obligé, susurra l’abbé à l’adresse de Bellegarde qui, d’instinct, rentra la tête dans les épaules.
    Vilecourt ne s’arrêterait pas en si bon chemin. Son oeil d’épervier était braqué sur le nouveau venu.
    — Tout frais de votre belle province, vous devez avoir un regard aiguisé sur les ridiculités de la cour, monsieur !
    La voix de l’abbé venait de prendre une ampleur théâtrale de mauvais augure.
    Ponceludon vit se tourner vers lui des visages où se dessinaient des sourires gourmands. Il ne se troubla pas.
    — Il est écrit « Ne juge point, et tu ne seras point jugé », dit-il avec l’assurance du bon droit, le droit de rester sur son quant-à-soi.
    Mais il aurait été trop facile d’en être quitte avec cette dérobade. La conversation, comme la guerre, abolit le droit de rester en retrait et, si l’ennemi a choisi le terrain, il faut se risquer à découvert sous peine d’être anéanti.
    — Vous pensez bien, monsieur, que si les Évangiles étaient de quelque utilité à Versailles, cela serait venu à ma connaissance !
    À l’abri de son muret de dominos et du rempart de son silence poltron, Bellegarde notait qu’une fois encore on gloussait complaisamment d’une impiété facile de l’abbé. Vilecourt, bien décidé à ne pas lâcher la proie dans laquelle il avait déjà planté ses crochets, se rengorgeait. Le public est un tyran pour le jouteur d’esprit, et ce tyran avait mis le pouce en bas.
    — Joignez-vous à notre partie, si le coeur vous en dit, poursuivit-il. Nous jouons à vingt sols le point.
    — Les boucles d’argent de mes souliers sont ma seule richesse,
    L’abbé grimaça une moue de mépris en abaissant son regard vers les boucles de Ponceludon.
    — Vous pouvez les estimer de plus près en vous courbant bien, répliqua le jeune homme.
    On osa rire de l’insolence qui cinglait l’abbé. La comtesse de Blayac, elle-même, en avait souri. Bellegarde se redressa et limita ses applaudissements à un battement malicieux des paupières. Le vieux courtisan n’avait pu se maintenir si longtemps dans le vivier des salons qu’au prix de ce genre de prudence.
    L’abbé prenait acte de l’insolence tranquille du jeune homme et, tout en souriant d’un air connaisseur, se préparait à une campagne plus longue contre un adversaire qu’il fallait renoncer à écraser en une escarmouche.
    — Que sollicitez-vous, à la cour ?
    — La charge d’assainir les marais de la Dombes. Un paradis pour les moustiques. La vie d’un paysan n’y dépasse pas trente-cinq ans.
    L’abbé avait posé sa question avec une sollicitude engageante, et le jeune homme s’était cru autorisé à y répondre. « Pour être vif, pensa Bellegarde, il n’en est pas moins maladroit. »
    — Pauvres gens ! soupira l’abbé. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, leur simple évocation provoque l’ennui !
    Les ricanements approbateurs de l’entourage étaient, pour Vilecourt, comme la pluie pour une plante assoiffée. Il revivait à la première averse, et ses traits s’épanouissaient en un sourire enfantin.
    — Les paysans, monsieur, ne nourrissent pas seulement les moustiques. Ils nourrissent aussi les aristocrates.
    L’atmosphère fut un instant changée en étoupe. Des rires étouffés s’enhardirent, puis les conversations atteignirent l’ébullition en quelques secondes. On était soudain tout esbaudi de cette hardiesse.
    — Il est moins sot qu’il en a l’air ! lança le vicomte de Blaireveau, derrière lui.
    — C’est toute la différence entre nous, monsieur, lâcha le jeune homme, se retournant vivement vers son nouvel assaillant.
    Le rire libéré du marquis de Bellegarde domina les « hi ! hi ! » minaudiers des autres joueurs. Blaireveau était mouché !
    — Sa Majesté la reine ! hurla un page.
    Tous se levèrent, et esquissèrent la révérence légère autorisée par l’étiquette pour les rencontres informelles.
    Ponceludon se cassa en une profonde révérence, pareille à celles prescrites pour le Grand Levé un siècle plus tôt.
    La reine était juvénile et son teint, de porcelaine.

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