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Ridicule

Ridicule

Titel: Ridicule Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Remi Waterhouse
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l’auberge.
    Le marquis de Bellegarde était bien certain qu’il avait froissé le jeune provincial, et qu’il le voyait pour la dernière fois.
    La pendule venait de sonner. L’abbé de Vilecourt, posté à la fenêtre du petit salon de jeu qui avait vue sur la chapelle du château, vit le comte d’Hézècque qui traversait la cour pour rejoindre ses appartements.
    — Ité missa est !
    L’abbé ajouta, en frappant dans ses mains pour commander aux valets :
    — Les dominos, messieurs !
    Quand le page du roi, qui par fonction assistait à la messe, passait seul devant la fenêtre, c’était le moment de sortir les dominos, les cartes et les cornets à dés. La comtesse de Blayac commanda qu’on apportât du café et du chocolat, et le salon commença à s’animer. Le chevalier de Milletail y avait « retrouvé sa place, quittée quinze ans auparavant. La disgrâce comme la mort est ordinairement sans remède, aussi l’événement fit-il murmurer. Mais l’impressionnante stature du chevalier, son profil de médaille et sa voix de basse, tout dans sa personne invitait les moqueurs à la retenue. Les amateurs de physiognomonie qui l’avaient jugé « dindon » quinze ans auparavant révisèrent leur jugement et le rangèrent parmi les oiseaux de proie.
    On ne venait pas dans ce petit salon de jeu aux heures de la comtesse pour miser gros. La plupart des joueurs auraient même eu du mal à « suivre » les mises d’une table d’officiers subalternes. Et puis il eût été vulgaire d’opérer une sélection par la fortune quand l’enjeu des parties était rien de moins que le bel esprit. Si ses dîners étaient recherchés des meilleurs causeurs comme un privilège rare, les parties de la comtesse étaient une nasse à maille très fine qui attrapait même le menu fretin, afin qu’aucun talent de conversation naissant ne puisse être négligé. « Il faut du sang neuf à la conversation, sinon elle s’émousse », avait coutume de dire la comtesse de Blayac. Chacun avait donc accès à l’arène, à ses risques et périls. Les gains considérables qu’une réputation d’homme d’esprit laissait espérer amenaient toujours de nombreux imprudents à tenter leur chance. Ainsi, le vivier de jeunes sots était toujours renouvelé, offrant des proies faciles aux habitués désireux de se mettre en verve à bon compte.
    À la table de dominos, le marquis de Bellegarde échafaudait une galanterie piquante à partir des trois mouches noires qui décoraient la peau d’ivoire de la baronne d’Oberkirchner, sans toutefois y parvenir. Aussi résolut-il de se taire jusqu’à une prochaine occasion. L’abbé s’apprêtait à retourner son domino :
    — Si je ne fais pas « double trois », je dis le secret de l’Église !
    Tout le monde fut ravi de ce mot exquis. Bellegarde pensa que les ecclésiastiques étaient bien avantagés par leur habit, car le moindre mot impie, dans leur bouche, prenait des éclats de pur esprit.
    L’abbé retourna son domino, un «trois et deux ».
    Les dames, enjôleuses, réclamèrent le secret, et l’abbé joua à se faire prier en minaudant des coquetteries. Bellegarde détestait les mines maniérées du religieux, au nom du bel esprit le plus intègre qui se doit d’être froid comme une lame.
    L’abbé finit par se rendre, « vaincu » par les supplications des dames.
    — Ah, et puis tant pis, je le dis : il n’y a pas de purgatoire !
    Depuis le début de cette comédie, le marquis de Bellegarde s’était préparé à sourire de connivence, et un sourire entendu flottait déjà sur son visage. Un rire de tête lui échappa, haut perché. Il s’était laissé surprendre par l’abbé. Pourtant, « Il n’y a pas de purgatoire » n’avait rien, en soi, de particulièrement piquant. L’esprit en était à peu près absent. D’où venait le rire que Bellegarde avait expulsé comme une toux irrépressible ? La drôlerie semblait, songea Bellegarde, arrachée par le caractère trivial de la chute. Comme si on concluait une vocalise ascendante et ornée de trilles savants par un bruit de caillou tombant dans un chaudron cabossé. Un tel bruit, malsonnant et court, n’avait rien de la note cristalline du bel esprit, mais il libérait brusquement la tension accumulée par le crescendo maniéré de l’abbé.
    Les prémices de ce mot avaient agité les molécules des cervelles les plus philosophes, tant le secret de l’Église promet de mystère

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