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Ridicule

Ridicule

Titel: Ridicule Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Remi Waterhouse
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Pourtant, le conseil de Parmentier lui revenait en mémoire et l’encourageait à persévérer. Il prit la diligence du soir et se rendit chez M. de Bellegarde pour lui conter ses déboires. Il trouva son bienfaiteur penché sur sa table de billard, ne lui prêtant qu’une attention parcimonieuse. Il avait disposé les boules et tentait de résoudre en un minimum de coups le problème qu’il s’était proposé.
    — L’aile du Midi, finit-il par expliquer à son visiteur, est occupée par les ministères. On y travaille aux affaires du royaume. L’aile Nord accueille la cour. On y travaille à ses propres affaires. Les règles n’y sont pas les mêmes.
    — Je ne veux qu’un rendez-vous avec le roi, rien d’autre.
    — Rien d’autre !
    Ayant joué sa boule, le marquis se redressa.
    — Vous m’amusez ! Ici on vous appelle « les solliciteurs ». Combien êtes-vous à Versailles ? Cinq cents ? Mille ?
    Ponceludon était de ces caractères que rien ne fait reculer a priori. Arrivé sur un obstacle insurmontable, il prenait acte de son échec, mais aucune mise en garde ne l’empêchait jamais d’y aller voir.
    — Certains y parviennent, non ?
    Comme Bellegarde, occupé à composer une nouvelle position de jeu, ne répondait pas, le jeune homme le tira par le bras pour l’obliger à lui faire face.
    — Aidez-moi, monsieur. Introduisez-moi à la cour.
    Le marquis prit le temps de considérer de haut en bas ce jeune campagnard aux mains rougies, aux épaules larges et — ce qui était pire encore — au regard franc.
    — Rentrez chez vous, monsieur. Vous serez plus utile à vos paysans.
    — Mon projet contrarie des propriétaires puissants et cupides. Versailles est ma dernière chance.
    En le voyant, Louis de Bellegarde pensa à sa chimère, un phoque à tête de porc, dont le groin finissait en bec de canard. Elle reposait au milieu du désordre de son grenier, prenant la poussière, et perdant sa bourre par de multiples accrocs. Il l’avait, payée très cher, vingt ans auparavant, à un marin chinois qui disait la ramener de Tasmanie. Après la guerre de 1756, ayant quitté le service de chirurgien militaire, Bellegarde voulait entreprendre des expéditions à la recherche d’animaux étonnants. Il était allé s’installer près de Versailles avec sa chimère sous le bras, dans l’espoir de convaincre M. de Choiseul de financer ses voyages. Heureusement pour lui, un savant de ses amis rencontré à la cour se livra à un examen détaillé de l’Ornipachiphociné — ainsi qu’il l’avait baptisé — et mit au jour quelques discrètes coutures qui signaient la supercherie (les Chinois sont très habiles de leurs mains, l’ouvrage était presque invisible). Plus heureusement encore, ce naturaliste mourut quatre jours plus tard, avant d’avoir pu ébruiter la plaisante mésaventure de son ami. Sachant qu’on passe pour un sot en disant deux fois les mêmes histoires, l’homme aurait attendu pour régaler la compagnie l’occasion d’un certain dîner, dont il connaissait la résonance. On ne déflore pas chez les demi-dieux un sujet de conversation qu’on pourra servir à la table des dieux. Cette précaution sauva Louis de Bellegarde d’un ridicule dont la renommée aurait défié le temps.
    Les années passant, plus il observait la cour, plus il comprenait le danger auquel il avait échappé, et moins il fut tenté d’exposer la petite réputation acquise par quelques traits d’esprit heureux. Il avait compris que le crédit en cour s’use en proportion qu’on s’en sert. Insensiblement, il avait renoncé à l’exploration du vaste monde au profit de l’observation du « monde » confiné de Versailles ; mais il restait homme de science et faisait dans le second les relevés, les classifications et les expériences qu’il avait rêvé, jeune, de mener dans le premier. C’est pourquoi, fort de ses propres renoncements, il répondit avec un peu d’humeur à Ponceludon :
    — Vous êtes tous les mêmes ! Vous montez à Versailles la tête pleine de titres, de pensions, de charges... La cour ! La cour ! Ce mot vous grise !
    La bouffée de regrets s’éloignant, il reprit, sur un ton apaisé :
    — Je doute que vous ayez les qualités requises pour vous y faire entendre... Rentrez chez vous et remerciez-moi.
    Ponceludon remercia froidement, et partit à pas pressés pour ne pas rater le dernier coche qui passait avant la nuit et le déposait près de

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