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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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fît pas « ça » dans le canton – Axel était revenu dégoûté de l’amour vénal. Au matin, il avait ressenti l’humiliation d’avoir obtenu, pour de l’argent, d’une fille au sein borgne, docile et bête, ce que des femmes lui avaient offert par passion. Il avoua à Louis sortir sali, presque honteux de cette parodie d’amour. « Post coïtum animal triste 1  », cita Vuippens, mais, tout de suite, il avait ajouté : « Ça te passera ! »
     
    Un autre soir, à l’issue d’une fête donnée par un de ses anciens condisciples de l’Académie, qui enterrait sa vie de garçon, il s’était retrouvé, après qu’on eut vidé force bouteilles, dans le lit d’une gouvernante allemande, aussi éméchée que lui. Au matin, il s’était esquivé pendant que la demoiselle dormait encore. De ces étreintes nocturnes, il n’avait conservé d’autre souvenir, pendant trois jours, que des griffures sous les omoplates, ce qui lui donna à penser que sa conquête avait dû y mettre une certaine fougue !
     
    Le dimanche, après le culte, il se rendait souvent chez Nadine, devenue M me  Michel Cornaz. La jeune femme avait mis au monde, en novembre 1822, une fille dont il était le parrain et qui avait reçu au baptême le prénom d’Alexandra. Bien que peu enclin à s’extasier devant les bébés, qu’il trouvait tous identiques, larvaires, braillards et baveux, il se faisait un devoir de caresser la joue d’Alexandra, qui, parfois, le gratifiait d’une grimace que sa mère nommait sourire.
     
    Depuis leur mariage, les jumelles n’habitaient plus sous le même toit mais occupaient, avec leurs maris, des maisons qui se faisaient face, de part et d’autre d’une rue étroite, proche de la Cour au chantre. Nadette, M me  Amédée Panchoz, se lamentait déjà de ne pas avoir d’enfant, ce qui constituait une différence, à ses yeux insupportable.
     
    – Et cependant, ce n’est pas faute de faire ce qu’il faut. Je peux te dire que, souvent, après le manger de midi, ils ferment les volets de leur chambre et que mon beau-frère ne doit pas être à la noce ! confia un jour, en riant, Nadine à Axel.
     
    Il ne se passait pas d’heure, au cours de la journée, sans que l’on entendît les sœurs s’interpeller, d’une fenêtre à l’autre, en faisant le ménage ou en préparant le repas de l’époux. Dès qu’il s’agissait du marché, des courses ou d’une escapade à Lausanne, elles trottaient ensemble. Les veillées se passaient en commun et les dimanches réunissaient les deux couples, alternativement, chez les parents Ruty, Panchoz ou Cornaz. Si Amédée, le mari de Nadette, qui venait de prendre la succession de son père au greffe du tribunal, acceptait cette promiscuité sororale, Michel Cornaz, fils de vigneron devenu maître arpenteur, trouvait trop fréquentes les visites de sa belle-sœur et la façon qu’elle avait de se mêler de tout dans son ménage.
     
    – Que veux-tu, Nadette et moi, nous n’avons jamais eu de secret l’une pour l’autre et nous ne nous sommes jamais quittées. Ce n’est pas parce que nous sommes mariées que ça va changer ! lui avait dit sèchement sa femme, un soir, après qu’il eut risqué une remarque.
     
    Sans rien dire à Nadine, Cornaz, soutenu par ses parents, qui, pas plus que lui, ne pouvaient comprendre le caractère concordant et la psychologie particulière des enfants jumeaux, envisageait, pour rompre cet attachement exagéré et agaçant, d’aller s’installer à Fribourg, où il avait des relations. Axel, qui avait employé l’arpenteur à l’occasion de l’achat d’un terrain dans l’Entre-deux-villes, s’était aperçu, à quelques réflexions de Michel, que cet homme souffrait de voir sans cesse son intimité conjugale troublée par sa belle-sœur.
     
    – Je me demande si un de ces soirs elles ne vont pas avoir l’idée d’échanger leurs maris comme elles échangent leurs chapeaux ! avait-il dit à Axel, de qui il connaissait les liens fraternels avec les deux sœurs.
     
    – Et vous en apercevriez-vous seulement ? avait plaisanté Axel Métaz.
     
    – Pas sûr, avait murmuré Cornaz, sans sourire.
     

    Dès que ses affaires l’appelaient à Lausanne, capitale du canton, qui comptait maintenant près de treize mille habitants, Axel prenait ses repas chez sa mère, mais allait dormir au moulin sur la Vuachère, confié aux plâtriers et aux tapissiers pour une restauration selon ses goûts.

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