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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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voulait, comme celui de qui il portait le nom, un maître attentif. Connaissant tous les carriers par leur prénom, sachant le penchant de celui-là pour la boisson, de celui-ci pour les filles, de tel autre pour la sieste, il savait aussi s’enquérir de la santé d’une épouse malade, offrir une channe de vin pour fêter la naissance d’un enfant, allouer une prime quand un chargement pressait. Il s’inquiétait pour un pouce écrasé ou une entorse, dépêchait son ami le docteur Louis Vuippens, maintenant installé à La Tour-de-Peilz, dès qu’un blessé plus sérieux était signalé par le contremaître. Il arrivait que Régis Valeyres remplaçât Axel dans cette inspection, ce qu’acceptaient aisément les ouvriers du petit-fils de celui qui avait été l’un des leurs.
     
    Au moins une fois par semaine, Axel se rendait à la petite chocolaterie, goûtait le chocolat, s’entretenait avec les trois ouvriers pour envisager l’achat d’une machine à broyer le cacao, demander si la clientèle locale, la seule qu’il fournissait, appréciait le nouveau papier d’emballage des plaquettes, dessiné par Régis Valeyres : une barque, voiles en oreilles, glissant sur le Léman, soulignée d’un cartouche portant en lettres d’or Délices de Vevey .
     
    L’horlogerie lui donnait plus de souci, car, depuis que certaines pièces pouvaient être reproduites à l’identique mécaniquement, la Fabrique de Genève passait moins de commandes. Les montres sortaient, de plus en plus nombreuses, d’ateliers qui assuraient fabrication, montage et décoration.
     
    Après une visite des caves, une tournée dans les parchets, un passage au chantier des barques, il faisait seller Ténèbre et montait à Belle-Ombre. Il ne se lassait pas du spectacle du lac.
     
    Du Léman, il connaissait tous les visages. Celui de l’hiver, gris de plomb, mat, parfois fuligineux ; celui des jours de neige, quand le fond du lac s’éclaire d’une blancheur laiteuse, tandis que les flocons en nuées denses masquent, comme un rideau, les montagnes de Savoie. Celui des jours d’été, sans vent, quand la surface mouvante se fige, par places, en plaques lisses, comme en laissent les brûlures sur la peau des hommes ; celui des matins clairs et lumineux où la rive française paraît s’être rapprochée et que le regard porte jusqu’aux sommets du Valais ; celui des fins d’orages. Parfois, la noirceur du ciel, du côté de Genève, faisait dire à Blanchod : « La pluie va cesser », et elle cessait. On entendait encore longtemps pleurer les gouttières, alors que le soleil se frayait un passage entre les nuages, pour sécher les feuilles vernissées de la vigne.
     
    Fumant sa pipe, Axel triturait machinalement la médaille de saint Pertinent qu’il portait au cou, suspendue à une chaîne fine. Il pensait à Adrienne. Il lui arrivait de s’éveiller au milieu de la nuit, en proie à un brutal désir de cette femme au cœur et à l’esprit insaisissables. D’elle, il n’avait jamais possédé que le corps, mais, pour avoir goûté cet envoûtement charnel, il souffrait d’en être sevré. Sans le savoir, Axel Métaz se trouvait dans la même situation qu’avait connue sa mère, quand elle aspirait à la présence de Blaise de Fontsalte.
     
    Un soir, il était allé à Lausanne avec le docteur Vuippens « voir les filles », comme disait l’ami d’enfance, qui prescrivait d’un ton professionnel : « Les garçons de notre âge doivent, de temps en temps, par hygiène, contenter la bête. » Louis Vuippens avait longtemps espéré faire de Nadette Ruty sa femme. Mais la vague tendresse que lui avait prodiguée, sans rien promettre, depuis l’adolescence, la fille du notaire n’avait pas résisté à l’absence prolongée de l’étudiant en médecine. À son retour de Montpellier, Louis avait poussé l’abnégation jusqu’à figurer parmi les garçons d’honneur des jumelles, mais, au soir du double mariage, il s’était enivré pour la première fois et, assis sur un muret au bord du lac, avait pleuré sur l’épaule d’Axel. Depuis ce temps, il considérait que seules les femmes faisant profession d’infidélité sont sincères et ne recherchait d’exutoire que chez les prostituées. De cette nuit dans une maison accueillante des hauts de Lausanne, fréquentée par des Genevois – les maris lausannois allant se défouler à Genève, pour observer la règle hypocrite qui exigeait qu’on ne

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