Rive-Reine
rendus qu’en 1841.
3.
Le premier tir fédéral, organisé à Aarau du 7 au 12 juin 1824, ne fit qu’étendre à toute l’Helvétie une très ancienne tradition. Les sociétés de tir, appelées aussi abbayes, constituaient les plus vieilles guildes connues. Selon les chroniques, l’habitude des Suisses à se mesurer au tir daterait de Pierre II de Savoie, fondateur, en 1255, de la Confrérie des archers de Berne. Lausanne possédait sa Confrérie des arbalétriers depuis 1521. Vevey s’enorgueillissait, dès 1694, de son Abbaye de l’arc et, depuis 1735, de sa Noble Société des fusiliers, devenue, plus tard, Société des arquebusiers. Ces derniers, tous bourgeois, avaient reçu, le 16 septembre 1803, une bannière neuve offerte par les dames de Vevey, parmi lesquelles figurait Charlotte, alors épouse estimée de Guillaume Métaz.
Dans son enfance, le collégien Axel Métaz avait tiré à l’arbalète, avec succès, le papegay 1 , le jour de la fête des promotions. Sans être un Guillaume Tell, le jeune homme participait maintenant aux tirs locaux organisés lors des fêtes villageoises. Ces tirages, comme disaient les anciens, étaient aussi des fêtes patriotiques, avec discours et flonflons, qui avaient contribué, dans le passé, à la consolidation de l’État fédéral et continuaient, avec leur cérémonial particulier, haut en couleur, à maintenir la fraternité des citoyens et la cohésion civique de la Confédération.
À Venise, Axel avait fait de sensibles progrès, à la carabine comme au pistolet, grâce aux leçons du capitaine d’artillerie Giacomo Alboretti. Depuis son retour à Vevey, il était inscrit, comme successeur de Guillaume Métaz, sur le rôle de la société locale. C’est pourquoi, à l’annonce du tir fédéral, premier du genre, les tireurs veveysans avaient prié Axel de se joindre à la délégation qui serait envoyée à Aarau. On s’était entraîné avec application au lieu dit Pré-de-la-Ville, sur les cibles installées au pied de la colline de Saint-Martin. Il s’agirait de faire bonne figure, d’abord parmi les sociétés du pays de Vaud, dont la Noble Abbaye des écharpes blanches de Montreux, renommée depuis 1627, ensuite, si possible, aux yeux des étrangers, c’est-à-dire des Suisses originaires des autres cantons, qui délégueraient leurs meilleurs tireurs.
Axel Métaz avait prévu d’emmener en Argovie sa mère, Flora Baldini et Martin Chantenoz, libéré de ses cours au collège depuis le 1 er juin. Il espérait aussi, sans trop y compter, que Blaise de Fontsalte serait de retour à Lausanne assez tôt pour pouvoir participer à l’expédition.
– Pourvu qu’il arrive bientôt ! Car la route est longue pour Aarau. Plus de quarante lieues, et par des chemins qui ne sont pas aussi bons que les nôtres, s’inquiétait Axel, devant sa mère, quelques jours avant la date fixée pour leur départ.
Charlotte, elle, relisait sans cesse la lettre de Blaise et s’interrogeait dix fois par jour sur la démarche qu’avait pu faire auprès d’un prélat le général, dont elle ignorait qu’il eût un cousin archevêque et primat des Gaules lyonnaises !
– Il est allé lui demander une consultation, pardi ! répétait Flora, toujours véhémente.
M lle Baldini avait vu juste.
Au soir du 2 juin, quand, harassé, pour être venu d’une traite en diligence de Fontsalte à Vevey, Blaise se fit annoncer à Rive-Reine, Axel fut étonné, mais le reçut chaleureusement.
– J’ai voulu vous voir avant de rencontrer Dorette, dit-il, employant, sans y prendre garde, pour désigner Charlotte, le diminutif dont il usait dans l’intimité.
Axel apprécia, bien qu’il le trouvât un peu simplet, le tendre et joli sobriquet de sa mère. Il appela Pernette pour faire servir une bouteille de vin frais et s’enquit de la raison de ce détour inattendu.
Assis dans le salon, devant la porte-fenêtre, ouverte sur la terrasse-jardin, Blaise de Fontsalte observait en silence les jets d’eau du bassin qui, tels des prismes, décomposaient la lumière du soleil couchant et se muaient en arcs-en-ciel frémissants.
– Comprenez, Axel, que je sois un peu ému. C’est la première fois depuis bientôt un quart de siècle que je me retrouve dans cette maison, où le destin m’a fait rencontrer celle qui n’était pas encore votre mère. Le décor a changé, par vos soins je crois, mais
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