Rive-Reine
fera le voyage de Lyon, qui est court, pour nous unir dans la chapelle du château où, depuis des siècles, les Fontsalte scellent leur union. Ma mère sera heureuse et ma sœur religieuse sortira de son couvent pour la circonstance.
Blaise n’osa pas demander à Axel d’assister à son mariage, craignant un refus qu’il eût d’ailleurs trouvé justifié. Soulagé d’apprendre que sa mère avait choisi d’aller convoler en France, plutôt que s’exposer à Lausanne à la curiosité publique, le jeune homme ne dissimula pas sa satisfaction.
– Je sais qu’en agissant ainsi vous rendez ma mère heureuse. Pour elle va commencer une nouvelle vie, sans dissimulation ni craintes du qu’en-dira-t-on. Vous lui rendez l’honneur perdu, moins par sa faute d’autrefois que par le scandale de 1819. En lui apportant un nom prestigieux, vous effacez le honteux silence imposé, dont elle a dû, elle aussi, souffrir.
Blaise serra fortement les mains de son fils et monta en voiture près de Charlotte qui, assise en face de Flora et de Ribeyre, riait à propos de tout et de rien, habitée par le bonheur.
Les deux berlines de Fontsalte et de Charlotte Rudmeyer avaient été nécessaires pour embarquer les invités d’Axel Métaz. Le convoi mit trois jours pour atteindre la cité argovienne, construite au bord de l’Aar, sur les pentes du Distelberg et du Goenhard. Les étapes à Fribourg, Berne et Soleure furent joyeuses et animées. La veille de l’arrivée, le marquis de Fontsalte tint à offrir un dîner dans le meilleur restaurant de la ville. Il s’agissait de célébrer, sans donner une publicité de mauvais goût à l’événement, ce que Flora Baldini et le général Ribeyre nommaient, depuis le départ de Lausanne, « les fiançailles de Blaise et de Charlotte ».
L’Italienne, très à l’aise avec le général Ribeyre, s’était constituée d’office l’infirmière du blessé, qui portait encore le bras droit en écharpe. Avec lui, elle commentait le paysage, plaisantait, se réjouissait ouvertement de l’heureux aboutissement d’une liaison dont ils avaient, l’un et l’autre, vécu les prémices et le déroulement tumultueux.
Axel, étonné de voir la gallophobe Flora aux petits soins pour un acteur de la Révolution doublé d’un officier d’Empire, se disait qu’il fallait se hâter de goûter ce moment privilégié où les bons sentiments triomphaient des haines surannées.
En revanche, Chantenoz, dont tout le monde savait qu’il avait été, dans sa jeunesse, amoureux et prétendant éconduit de Charlotte, à qui il vouait toujours un culte amer et persifleur, demeurait le plus souvent silencieux. Lors de l’étape de Berne, alors qu’il se dégourdissait les jambes en compagnie d’Axel, il exprima son sentiment devant l’euphorie de l’amie, qui le blessait sans qu’elle y prît garde.
– C’est tout de même un sort étrange que celui de l’homme qui, par deux fois, voit la seule femme dont il désirait être aimé en épouser un autre !
– Mais vous n’êtes pas fait pour le mariage, Martin !
– Je ne suis plus fait pour le mariage, veux-tu dire. Il y a une saison pour tout dans la vie. La mienne est passée, mais la tienne va bientôt venir ! Une fois ta mère mariée, ce sera ton tour, mon petit ! Et laisse-moi te dire que Charlotte y pense déjà, que Flora voit dans le mariage le seul conjurateur à la dépravation supposée des célibataires !
– Ce que j’ai connu jusque-là des mœurs conjugales ne m’encourage guère, Martin. Je me méfie des femmes. Ne rien attendre de la meilleure, c’est s’assurer la paix, comme vous dites souvent.
Axel appréciait le commerce des femmes, mais il avait appris, comme son mentor, à se protéger de leur séduction. Ève restait pour lui l’être dispensateur de charme, au sens magique du terme. Au fil des expériences vécues, il avait acquis la certitude que la possession physique, plaisir et leurre, n’était qu’une rassurante manifestation d’animalité, déguisée par l’amour en union mystique des âmes. Ses rapports épisodiques et déraisonnables avec Adrienne s’étaient transmués en un curieux amalgame de désir inassouvi, de curiosité, d’inquiétude, de mansuétude, de compassion, presque de pitié. Absente, la fille de la Tsigane régnait sur ses méditations. Son souvenir s’insinuait dans ses pensées les plus ordinaires. Mais,
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