Rive-Reine
en 1798, quand furent autorisés chez vous les mariages mixtes, j’ai voulu consulter mon cousin. Je crois avoir bien agi.
Axel Métaz, qui ne souhaitait que voir sa mère heureuse après une union contractée en accord avec sa conscience, offrit une collation au général et l’invita à dormir sous son toit. Pernette prépara pour lui l’ancienne chambre de Blandine, devenue chambre à donner.
– Ne trouvez-vous pas inconvenant que j’accepte votre invitation ? demanda Fontsalte, un peu gêné.
– Il serait inconvenant pour moi de ne pas la faire ! Nous sommes, Dieu merci, sortis – douloureusement pour l’homme qui m’a cru pendant dix-huit ans son fils – de l’hypocrisie et du mensonge. Aujourd’hui, vous êtes accueilli au grand jour dans ma maison. Je veux que vous y soyez à l’aise, conclut Axel avec chaleur.
Fontsalte dissimula son émotion en vidant son verre. Quand il le reposa, le jeune homme vit que la main du général tremblait légèrement.
À l’heure du coucher, après qu’il eut fait à Axel le récit des rares combats auxquels il avait participé, comme conseiller de l’état-major des patriotes grecs, et commenté les intrigues politiques qui empoisonnaient cette guerre de partisans, le général expliqua que sa berline, conduite par Jean Trévotte, arriverait deux jours plus tard à Lausanne.
– Le brave Titus transporte mon ami Claude Ribeyre de Béran, qui se remet lentement d’une blessure à l’épaule, reçue en Morée. J’ose espérer que le bon climat lémanique lui permettra de vite se rétablir, conclut-il.
Le lendemain matin, Blaise de Fontsalte, reposé et joyeux, ayant accepté avec une évidente satisfaction l’invitation d’Axel à se rendre, « en famille », au tir fédéral d’Aarau, regagna Lausanne.
En montant dans le cabriolet d’Axel, que conduisait le vieux bacouni encore valide, Pierre Valeyres, le général observa que c’était une bien belle voiture légère.
– Une dame l’a oubliée en me quittant, dit le jeune homme, volontairement désinvolte.
Le général parut surpris, esquissa un sourire complice, mais, discret, ne demanda pas de précision. Il avait en tête d’autres soucis.
Quelques heures plus tard, après un bref arrêt à Beauregard, il se fit annoncer rue de Bourg et Charlotte lui sauta au cou en pleurant, comme chaque fois qu’elle était terrassée par une forte émotion.
La divorcée ne demandait qu’à se laisser convaincre de convoler sans encourir le risque d’excommunication. Toutefois, avant de s’abandonner à la félicité de l’acceptation, elle tint à s’entourer de garanties, comme si l’analyse du cas Métaz par le primat des Gaules lui paraissait trop favorable au dessein de son amant.
Le curé de Lausanne, informé par la divorcée, sollicita sur-le-champ, et par courrier spécial, du curé d’Échallens les précisions qui s’imposaient sur le mariage de M lle Rudmeyer et M. Guillaume Métaz. Quand il fut confirmé, le lendemain, que le prêtre catholique n’avait fait à l’époque, à la demande de la famille Rudmeyer, que bénir les alliances des époux, « sans pouvoir administrer le sacrement de mariage, le marié étant de religion protestante et peu enclin à sortir de son erreur », Charlotte découvrit, avec autant de plaisir que d’étonnement, qu’en regard de la dogmatique catholique elle n’avait jamais été mariée devant Dieu et ses saints !
– En somme, tu as toujours vécu comme une concubine, sans le savoir ! lança Flora qui, depuis le retour de Blaise, suivait avec un intérêt teinté d’ironie ce qu’elle qualifiait d’arrangement avec le ciel !
À partir du moment où l’hypothèque de conscience fut levée, Charlotte ne se tint plus de joie. Dans un mouvement tendre, elle tendit à Blaise les gants beurre frais oubliés rue de Bourg, au soir de sa première demande en mariage.
– Je les avais conservés à l’instigation d’Axel. Il espérait bien qu’ils serviraient un jour, dit-elle.
Nul ne sut en quels termes le général renouvela ce soir-là sa demande, mais celle-ci fut bien accueillie, comme l’annonça l’intéressé à Axel, le matin du 6 juin, au moment du départ pour Aarau.
– Votre mère et moi irons nous marier à Fontsalte, dans l’intimité et loin des regards des commères veveysannes : c’est son désir. Mon cousin l’archevêque
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