Rive-Reine
faisaient crépiter la poudre, s’envoler les oiseaux et aboyer les chiens, recueillaient moins de vivats que ces champions d’un autre âge. Fidèles aux armes de leurs ancêtres, les archers, descendus du Grütli, et les arbalétriers, venus d’Altdorf, rappelaient aux Suisses que, si la liberté d’un peuple se fonde sur l’union des citoyens, elle peut aussi, parfois, être sauvée par une seule flèche bien ajustée !
Axel, ayant rejoint le groupe de Vevey, s’en fut risquer quelques coups. Sa carabine à canon rayé en spirale, pour laquelle il utilisait de la poudre à mousquet de Berne, était une arme précise et de bonne portée. Blaise de Fontsalte et sa mère choisirent de l’accompagner, mais Chantenoz, qui détestait les armes à feu, se dirigea vers les tireurs à l’arc, tandis que Ribeyre et Flora musardaient au milieu des badauds. On s’était donné rendez-vous à midi à la cantine où, sous une immense toile de tente, s’alignaient tables de sapin brut et bancs. On y servirait mille repas, assurait un panneau.
Alors qu’il comparait les lots offerts à la convoitise des tireurs, Axel sursauta en entendant, lancé d’une voix de stentor par le héraut, un nom familier. Le gaillard s’époumonait à crier : « Le comité a le grand honneur d’apprendre à messieurs les tireurs que M me la Baronne von Fernberg met au concours une coupe de jade, très ancienne, offerte par M me la Comtesse de Saint-Leu, belle-sœur de Napoléon I er et qui fut la reine Hortense de Hollande. Nous remercions M me la Comtesse de Saint-Leu, ainsi que M me la Baronne von Fernberg. Ce lot précieux appartiendra au premier carabinier qui rapportera vingt-cinq cartons sans avoir tiré plus de vingt-six balles. Qu’on se le dise. »
Un murmure parcourut l’assistance, rassemblée autour du pavillon des prix. Ceux qui n’avaient pas tout compris de cette offre se la faisaient répéter et ceux qui croyaient avoir une chance de réussir la haute performance exigée par la donatrice comptaient leurs balles ou se précipitaient pour acheter de la poudre ou des pierres à feu à l’armurerie.
Ce nouveau coup d’audace d’Adrienne fit battre plus fort le cœur d’Axel Métaz, en même temps qu’il inquiéta son esprit. Du regard, il chercha Blaise de Fontsalte. Le général était invisible : il n’avait donc pas entendu l’annonce du crieur. Le nom de Fernberg lui eût révélé la présence de sa fille sur la place de tir. En trois enjambées, Axel rejoignit le héraut, qui transpirait abondamment dans son frac vert de carabinier.
– Savez-vous où se trouve la baronne von Fernberg ? demanda-t-il.
– Je ne sais pas, monsieur, nous ne l’avons pas vue. Elle a fait apporter la coupe et le message par un postillon, emmitouflé comme en plein hiver. Un géant, brun comme une noix, qui n’a même pas ôté son bizarre chapeau. Une sorte de Mongol, très peu bavard. Il a simplement dit : « M me la Baronne viendra remettre elle-même la coupe au vainqueur », mais je me demande bien comment elle pourra savoir le moment, vu que son orang-outan a disparu comme il est venu !
– La baronne sera là, soyez sans crainte ! dit Axel en s’éloignant.
À la description du messager de M me von Fernberg, le jeune homme avait tout de suite identifié Lazlo, le plus fidèle des Zigeuner. Comme il hésitait sur la direction à prendre pour tenter de découvrir Adrienne dans la foule, de plus en plus dense, il aperçut Chantenoz, le rejoignit et le mit au courant de l’événement.
– Diable, la veuve d’Arthur revient avec le Saint-Graal sous le bras ! Va, mon bon Lancelot, vise juste et tu auras la coupe, comme tu as eu la dame !
Cette boutade convainquit Axel que le meilleur moyen de revoir Adrienne était, certes, de conquérir le lot offert par la reine Hortense. Suivi de Chantenoz, il se mit aussitôt en quête d’une cible vierge.
– Que Tell l’Adroit soit avec toi, dit Martin quand Axel commença à tirer.
Le jeune homme changea plusieurs fois de cible, obtenant chaque fois le maximum de points, sans perdre une balle. Mais le Vaudois n’était pas le seul que la coupe de jade tentait. D’autres tireurs, plus intéressés par la valeur du lot que par sa donatrice, se hâtaient d’additionner les points.
– Si tu ne l’emportes pas, tu retrouveras toujours ta sorcière au moment de la remise du prix à un
Weitere Kostenlose Bücher