Rive-Reine
ébahissement arriver Adrienne, portant le frais costume des paysannes thurgoviennes, encadrée par Blaise et Charlotte, que suivaient Claude et Flora. Il demanda à être promptement descendu de son piédestal humain.
– C’est la grande réunion de famille, jeta-t-il à Martin, avant que la baronne Karl von Fernberg ne lui sautât au cou.
– Mon Axou, quelle surprise ! murmura-t-elle en lui prenant la main, avant de dire à haute voix la joie qu’elle éprouvait à retrouver son demi-frère et son père le même jour. Saint Pertinent fait bien les choses, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle avec un clin d’œil en posant l’index sur la médaille apparue dans l’échancrure de la chemise d’Axel.
Priée par les personnalités de remettre son prix au tireur, Adrienne entraîna son demi-frère sur l’estrade et, au vu de la foule, lui mit dans les mains la coupe de pierre dure qu’elle affirma avoir été « enlevée à Vishnou dans un temple hindou ». Axel, habitué aux affabulations d’Adriana, afficha un sourire dubitatif et pria la baronne de transmettre ses respectueux remerciements à la reine Hortense, aimable donatrice. Puis, sous les applaudissements de l’assistance, tous deux quittèrent l’estrade où, déjà, montaient d’autres champions.
Toutes les présentations ayant été faites hors de sa présence, Axel, un peu gêné, hésitait sur l’attitude à adopter envers Adrienne, en présence de Fontsalte et de sa mère. La jeune femme l’inspira sans équivoque en le prenant familièrement par le bras et en usant du tutoiement familier.
– Enfin, nous voici réunis, mon père, toi et moi, nous, les yeux vairons ! Regardez-nous, cette assemblée est exceptionnelle, dit-elle gaiement aux autres, en passant son bras libre sous celui du général.
Charlotte ne pouvait détacher son regard de cette fille de Blaise, qui semblait avoir autant d’audace que de flamme dans ses yeux bicolores. Flora se taisait, médusée. Plus intuitive que son amie, elle devinait chez Axel et sa demi-sœur une complicité ambiguë, qui ne datait pas de ce jour. Ribeyre de Béran écoutait Chantenoz définir, en ethnologue, les caractères physiques des Tsiganes qu’il décelait chez l’exubérante personne : yeux largement fendus et bridés, teint mat et hâlé, attaches fines, chevelure opulente et frisée, couleur aile de corbeau, jambes nerveuses, hanches étroites, corps souple, gestes vifs et assurés. Comme pour donner raison au professeur, Adriana ôta son chapeau de paille, dénoua le ruban de velours noir qui attachait son bonnet de toile fine et laissa crouler jusqu’à la taille ses cheveux prisonniers. Puis elle décrocha, avec un « ouf » de soulagement, les chaînettes d’argent qui fermaient son corselet baleiné et ouvrit le col du corsage.
– Pourquoi ce costume de paysanne endimanchée ? demanda Axel.
– Par modestie, par prudente modestie, lança Adrienne en riant.
Un peu plus tard, alors que tout le groupe, attablé à la cantine, se restaurait, après qu’Axel fut allé sacrifier aux libations de rigueur avec les tireurs de Vevey, Adrienne dit combien la réjouissait le mariage de son père avec la mère d’Axel, puis elle annonça qu’elle devait reprendre, sur l’heure, la route d’Arenenberg, où l’hébergeait la reine Hortense.
Elle parvint, à la faveur du brouhaha qui régnait sous la tente et rendait les conversations des autres peu audibles, à glisser quelques mots à Axel.
– À quel hôtel loges-tu, à Aarau ? demanda-t-elle à voix basse.
– Au Lion d’Or, dit-il sur le même ton.
– Lazlo viendra te chercher à minuit et te conduira jusqu’à moi. Je ne pars qu’à l’aube pour Arenenberg.
D’un pincement à la cuisse et d’un regard, elle promit à Axel ce qu’il espérait. Elle s’en fut, après avoir embrassé son père et Charlotte.
Dès que la jeune femme eut disparu, les commentaires allèrent bon train. Fontsalte, abasourdi par cette rencontre avec sa fille, perdue de vue depuis des années, dut répondre aux questions, parfois indiscrètes, de Flora, qui tenait cette enfant naturelle de Blaise pour une vraie gitane.
– Elle doit savoir composer des philtres d’amour, confectionner des poupées de cire que l’on pique avec des aiguilles pour rendre les gens malades, lire dans les lignes de la main, tirer les cartes, jouer du tambourin et, peut-être,
Weitere Kostenlose Bücher