Rive-Reine
parfois se cache, se couche, fait le malade. En somme, il suit le conseil du vieux Samuel Johnson : « Faites-vous une loi invariable et obligatoire de ne jamais mentionner vos troubles personnels, et vous verrez que si vous n’en parlez pas, vous y penserez moins, et si vous y pensez moins, ils vous tourmenteront plus rarement. » Et c’est bon pour nous tous ! conclut Martin en riant.
Pour Axel Métaz, l’été et l’automne furent marqués par plusieurs voyages à Berne, à Zurich et à Bâle, car le commerce des vins suisses était maintenant soumis à rude concurrence. Non seulement les vins de Bourgogne et les vins du Rhin trouvaient preneurs chez les consommateurs aisés, mais les vignerons alémaniques mettaient sur le marché des vins devenus de meilleure qualité, comme les rouges légers et secs d’Hallauer et de Klevner, tandis que les producteurs du Tessin livraient des rouges capiteux, tels le nostrano et le mezzana. Il fallait donc assurer aux inimitables blancs du pays de Vaud, dont la production augmentait chaque année grâce aux progrès de la vinification, des débouchés nouveaux.
Au cours des réunions de l’Abbaye des vignerons, à Vevey, on évoquait depuis peu l’opportunité d’organiser en 1833 une nouvelle fête des Vignerons. Cette grandiose manifestation, qu’on ne pouvait voir que quatre ou cinq fois par siècle, attirait, depuis la première apparition de Bacchus en tête de la bravade de 1730, des milliers de Suisses et d’étrangers. Elle avait toujours été bénéfique pour le commerce des vins et le tourisme. Celle de 1833 serait la deuxième du xix e siècle, même si quatorze ans seulement, et non vingt-cinq comme le voulaient les plus pointilleux, se seraient écoulés depuis la précédente, en 1819. De celle-là, Axel et les siens avaient toutes raisons de se souvenir !
Avec la complicité du soleil et des pluies de fin d’été, la vendange 1828 fut généreuse. Axel, pour satisfaire aux commandes recueillies au cours de ses déplacements, dut acheter la récolte de plusieurs petits vignerons, moins aptes que lui à commercialiser leur vin.
Dès novembre, il confia les soins du vignoble à un jeune vigneron de Rivaz, Samuel Fornaz, contremaître formé par Simon Blanchod et qui offrait, de ce fait, toutes garanties. Axel devait, en effet, développer, au plus tôt, l’extraction de la pierre des carrières de Meillerie et accélérer leur transport vers Genève, où il fit de nombreux séjours en 1829.
Car le canton genevois, sous l’influence d’un gouvernement qualifié par certains d’aristocratique, devait connaître, au cours des années à venir, de grandes transformations. La ville de Genève surtout, dont Jean-Jacques Rigaud, premier syndic, dirigeait avec compétence les affaires. Le ton pour un nouvel urbanisme, qui prendrait en compte, non seulement l’embellissement des sites, mais aussi l’habitat populaire, l’amélioration de la circulation et un indispensable assainissement de la cité, dont l’hygiène laissait fort à désirer, était donné par l’ingénieur Guillaume Henri Dufour. Nommé architecte cantonal en mars 1828, ce brillant polytechnicien obtenait enfin la possibilité de faire prévaloir ses idées et de mettre en œuvre des travaux dont il avait fermement exposé, dès 1819, la nécessité devant le Conseil cantonal.
« En arrivant, par le lac, dans notre ville, en voyant les choses dans l’état où elles sont et en pensant à ce qu’elles pourraient être, on ose à peine avouer qu’on est genevois ! » disait-il. Et il ajoutait : « Quel contraste entre l’admirable contrée où lac et fleuve, rivages, forêts, collines, vallées et montagnes, font un “jardin de Dieu”, au moins dans ses traits principaux […] et ces murs noirs, en ruine, ces bâtiments construits sans symétrie et sans but et qui donnent une petite idée du reste de la ville ! Non ! Cela ne peut rester ainsi ! Cet état de choses n’est pas en rapport avec le développement intellectuel et le sentiment artistique de notre population 6 . »
Si l’on excepte les belles constructions, privées ou publiques, comme le palais de Jean-Gabriel Eynard et le musée Rath, des plantations d’arbres sur les promenades et les ponts en fil de fer lancés sur les fossés des fortifications, l’embellissement de Genève avait commencé, en 1822, par une prison ! La ville disposait, en effet, maintenant de
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