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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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chez qui les chasseurs faisaient halte au cours de leur quête extorquaient, à force de lamentations, une consultation au praticien. Impuissant à soigner les goitreux, nombreux dans cette région, ou à guérir les rhumatismes, Louis Vuippens réduisait les entorses, pansait les ulcères, offrait de l’onguent pour apaiser un tour de reins, distribuait du vermifuge aux enfants, purgeait les grand-mères et conseillait aux hommes de boire un peu plus d’eau et moins de vin !
     
    Souliers ferrés, bandes molletières, culotte de velours, bourgeron de burat, cloche de feutre informe portée à la manière des bergers des alpages, telle était la tenue de chasse pour Axel et Vuippens, dont se distinguait Blaise de Fontsalte, vêtu d’une touloupe, prise autrefois, devant Moscou, sur un officier du tsar, et coiffé d’un bonnet de police dont, par grand froid, il rabattait les revers sur ses oreilles.
     
    Quand chacun eut vérifié son arme, sa poudre et ses balles, on se mit en route sous les étoiles pâlissantes. Après deux heures de marche pénible, par le col de l’Âne, puis un dédale de vires, censées, d’après Vuippens qui connaissait le site, conduire par mille détours « aux bons coins » du Rogneux, les compagnons atteignirent la limite élevée des pâturages, où l’on a une chance de voir une harde de petits rouges se déployer dans l’aube grise. Dès lors, ils se tinrent derrière le vent, évitèrent de faire rouler des pierres et ne parlèrent plus qu’à voix basse. Le moindre effluve humain, parfum de tabac, ou le plus léger bruit alerterait, dans ce désert de pierre propagateur d’échos, le plus méfiant des quadrupèdes. Vuippens, un peu essoufflé, annonça enfin : « Nous y sommes », et fit s’immobiliser ses compagnons, au bord d’un cirque, derrière une barrière rocheuse. Le médecin inspecta méthodiquement les gradins, les failles, les versants voisins, les terrasses inférieures, les combes crevassées, les éboulis, qu’il appelait casses comme les gens du pays, et surtout ces plaques d’herbe drue, offrandes savoureuses et dispersées de la montagne aux funambules des cimes.
     
    – Avançons doucement derrière ce bastion, ordonna le médecin en désignant un énorme redan de granit.
     
    L’ayant contourné, ils découvrirent un nouveau cirque et, en contrebas, ce que les Valaisans nomment si justement des creuses, larges sabrures dues au plissement alpin, élargies par l’érosion, qui sont plus que des crevasses, moins que des vals. L’une d’elles, tapissée d’herbe jaune, pouvait être, d’après Vuippens, un terrain de jeux pour chamois.
     
    – Ces messieurs et dames ne sont pas encore levés, dit Fontsalte, se tournant vers ses compagnons, adossés au rocher.
     
    Comme pour lui infliger un démenti immédiat, six chamois apparurent à moins de deux cents pas, sur la vire que les chasseurs se préparaient à emprunter en poursuivant la traque. Axel les vit le premier et les désigna du doigt.
     
    – Pas un geste ! souffla Vuippens. Faut voir où ils vont. S’ils piquent à la baisse, on fera le tour par la combe, à main droite, et on remontera sur eux.
     
    Le médecin appliquait le principe qui veut qu’on traque toujours en montant.
     
    Gracieux, hauts sur pattes, robe rousse, gorge, ventre et fesses jaunes, cornes noires, droites, aux pointes cintrées comme des hameçons, les jolis caprinés folâtraient au soleil levant. Soudain, l’un d’entre eux repéra une touffe de graminées et s’y précipita, entraînant les autres. Tandis que les uns, museaux joints, broutaient avec gourmandise, les autres, à l’écart, observaient.
     
    – Trois femelles suitées et leurs chevreaux, dit Vuippens. On ne tire pas…
     
    – Comment le sais-tu ? interrompit Axel, qui, déjà, épaulait.
     
    – Tête plus fine, cornes plus effilées, plus écartées, moins coudées, ça se voit, non, que ce sont des femelles ! Et les autres sont des chevreaux : trop jeunes. Rien pour nous, conclut Vuippens avec regret en abaissant avec autorité le fusil de son ami.
     
    C’est alors qu’apparurent six autres bêtes, plus puissantes. Vuippens identifia plusieurs adultes et, à sa robe d’un roux plus soutenu, à ses cornes épaisses, un grand bouc. Il s’étonna qu’un vieux chamois de cette taille suivît une harde, alors que ceux de son âge vivaient habituellement solitaires.
     
    – Celui-ci est pour vous, dit-il à Fontsalte,

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