Rive-Reine

des recherches, aborda la Charlotte de Métaz et affirma qu’il avait été, à cause du très mauvais temps, un des rares témoins d’une trombe qui, le 26, vers dix heures du matin, avait étiré son impressionnante colonne d’eau « jusqu’à plus de cent pieds de haut, juste en face de Saint-Gingolph ».
     
    En rentrant à Vevey, Axel exprima, devant Vuippens et les bateliers, son dernier espoir :
     
    – Peut-être ont-ils pu gagner un rivage à la nage, ou en s’aidant d’une épave. Mais, cela, nous le saurons bientôt, dit-il.
     
    – Et la petite Alexandra, qu’allons-nous lui dire ? demanda le médecin.
     
    – Je veux d’abord savoir si la rescapée est sa mère ou sa tante, puisque tu es incapable de le dire ! Aussitôt à terre, nous irons la voir à La Tour, dit Axel, étonné que Louis, qui avait été autrefois amoureux de Nadette Ruty, fût incapable de préciser laquelle des jumelles était sauve.
     
    L’épouse du pêcheur les conduisit dans la chambre où reposait la jeune femme, dans des draps blancs, sous une couette et entourée de bouillottes.
     
    – Elle dort comme un ange, dit-elle à voix basse.
     
    – Le réveil sera difficile, souffla Louis à l’oreille d’Axel.
     
    Puis il ajouta :
     
    » Alors ? Nadine ou Nadette ?
     
    Axel souleva le drap et dénuda la poitrine de la dormeuse, sans l’éveiller.
     
    – C’est Nadette, dit-il, formel.
     
    – Tu es sûr ? C’est Nadette ?
     
    – Certain, Louis. Nadine a deux grains de beauté, près de l’aréole du sein gauche. Nadette, comme tu le vois, n’en a qu’un, sous l’aréole du sein droit. Il n’y a pas de doute, c’est la pauvre Nadette. J’imaginais que tu savais ça, toi !
     
    – Non, je l’ignorais, dit tristement le médecin. Et toi, comment diable le sais-tu ?
     
    – Un jeu, autrefois. Tu sais bien qu’elles se comparaient sans cesse. C’est leur seule différence !
     
    Après s’être concertés, les deux amis décidèrent de laisser provisoirement la rescapée aux bons soins de la femme du pêcheur, Vuippens habitant à quelques pas de chez elle.
     
    – Si une seule des deux sœurs doit survivre, comme tout porte à le croire, il eût mieux valu que ce fût Nadine… à cause d’Alexandra ! risqua Axel, quand ils furent seuls.
     
    Il comprit, au silence de Louis, que son ami n’approuvait pas que l’on discutât ainsi l’aveuglement ou le choix cruel du destin. La mort imposait, certes, la pire sélection, puisqu’elle ajoutait à l’anéantissement d’une famille l’affliction et la solitude d’une orpheline, mais, narquoise, elle laissait aussi au médecin l’ingrate mission de guérir et de rendre à la vie celle qu’il aimait depuis l’école enfantine.
     
    En arrivant à Rive-Reine, Axel comprit, en voyant Alexandra en sanglots, pelotonnée dans un fauteuil du salon, que l’enfant savait maintenant que l’absence prolongée de ses parents, de ses oncle et tante et de ses grands-parents ne relevait plus d’un simple retard.
     
    – Vous comprenez, il y a eu tant de va-et-vient dans la maison ! Les voisins des Ruty sont venus dix fois aux nouvelles ! Et le premier clerc et les employés du notaire, et puis le pasteur et d’autres gens. La petite a compris qu’il se passait quelque chose. Comme j’avais demandé à notre voisine de l’emmener au marché, pour la sortir d’ici, en passant dans la rue du Sauveur, elle a entendu la mère Chatard crier par la fenêtre au marchand de bois : « Paraît que c’est tout mort, tout noyé, les vieux et les jeunes ! »
     
    Axel prit sa filleule dans ses bras, s’assit et, longtemps, la berça, s’efforçant de calmer les spasmes qui faisaient hoqueter la fillette entre deux plaintes.
     
    « Tant que je ne saurai pas comment Nadette va sortir de l’épreuve, ne parle pas de sa tante à Alexandra », avait conseillé Vuippens. Axel se taisait donc, accablé, et laissait Pernette répéter devant la fillette que tout espoir n’était peut-être pas perdu.
     
    – La mère Chatard n’est qu’une vieille folle, qui dit n’importe quoi pour le plaisir de parler. Faut pas l’écouter. Et puis, il y a des gens qui sont tombés dans le lac par mauvais temps, qui ont nagé jusqu’à la berge, dans un endroit perdu, et sont revenus à pied, par la terre, des jours plus tard, débitait sans conviction la brave femme, avant d’aller cacher son chagrin dans la cuisine.
     
    Au cours de