Rive-Reine
la semaine, plusieurs revinrent en effet, par la terre, comme Pernette l’avait prédit. Le premier cadavre, qu’un braconnier retrouva dans une crique, devant Rivaz, fut celui du mari de Nadine, Michel Cornaz, l’ébéniste. Le même soir, au-delà de Saint-Saphorin, ce furent les corps d’Élise Ruty et de son gendre, Amédée Panchoz, le greffier du tribunal, le mari de la rescapée, qu’on découvrit dans un creux de rocher. Jusque-là les Cornaz et les Panchoz avaient refusé de croire à la disparition de leurs fils. Ils avaient loué des bateaux et ordonné de vaines recherches jusqu’à Yvoire et Nyon. Le premier clerc du notaire, Axel et Vuippens durent reconnaître les corps rendus hideux par le séjour dans l’eau, les heurts contre les pierres des berges et la voracité des poissons. On s’empressa de mettre les noyés en bière et les cercueils furent entreposés dans un hangar à bateaux des Métaz. Les frères et sœurs de Charles et d’Élise furent prévenus du drame qui frappait leurs familles. Puis on attendit que le lac voulût bien rendre ceux qui manquaient encore à l’appel funèbre : Charles Ruty, sa fille Nadine et le patron de la barque, un cousin des Valeyres.
Le corps de ce dernier fut remonté, trois jours plus tard, dans un filet de pêcheur et, le lendemain, des carriers de Meillerie repérèrent l’épave de l’ Héloïse disloquée et immergée à vingt mètres du rivage. Ils la tirèrent au sec et y découvrirent le corps du notaire, resté coincé entre deux membrures.
C’est par l’examen de l’épave que Pierre Valeyres et les gardes, chargés de la police sur le lac, établirent que la barque, au matin du 26 novembre, une demi-heure après avoir quitté Saint-Gingolph, avait dû être prise dans une trombe. Tous les bacounis témoins, dans le passé, de ce genre de phénomène naturel en gardaient un souvenir effrayant. La trombe prenait naissance quand des vents opposés, assez violents, chauds et froids, s’affrontaient au-dessus du Léman. On voyait alors soudain apparaître sur le ciel noir, parfois à cent ou deux cents mètres au-dessus du lac, une sorte d’entonnoir blanchâtre qui semblait aspirer l’eau par la pointe, en déchaînant à la surface un tourbillon infernal, de dix ou vingt mètres de diamètre. Des vagues énormes se dressaient frénétiquement et le bateau qui, par malchance, se trouvait dans les parages immédiats, pouvait chavirer ou voir les éléments de sa coque se disjoindre.
– Sûr que l’ Héloïse s’est trouvée prise dans la trombe et a été comme écartelée, conclut Valeyres.
On accorda encore deux jours au Léman pour restituer le corps de Nadine, puis, l’attente ayant été vaine, le pasteur décida de procéder aux funérailles. Toute la ville, abasourdie par cette catastrophe, s’y rendit derrière le syndic et les membres du conseil communal. Le maire de Saint-Gingolph et le notaire royal, qui avait décoré Charles Ruty la veille de sa mort, traversèrent le lac pour s’associer au deuil des Veveysans. Plusieurs notaires vinrent de Lausanne, de Nyon, de Morges, de Fribourg, de Bulle et, même, de Genève pour rendre les derniers devoirs à leur confrère. Les parents des morts, rassemblés après le culte, s’entendirent pour commander un caveau, où toutes les victimes reposeraient dans le cimetière Saint-Martin. Les Doret, marbriers qui, de père en fils, depuis 1733, construisaient les dernières demeures des Veveysans, s’engagèrent à livrer le monument avant la Saint-Sylvestre. La rescapée fut tenue à l’écart des cérémonies.
D’ailleurs, Nadette ne sortait pas d’une étrange apathie, semblait avoir perdu tout sens de la réalité et ne pouvait être livrée à elle-même. Physiquement rétablie, elle avait été recueillie par le docteur Vuippens. L’infirmière qui, souvent, assistait le médecin, vieille fille robuste et intrépide, s’était installée à demeure chez Louis, pour veiller sur la rescapée. Des médecins de Lausanne, appelés en consultation, avaient diagnostiqué un dérangement cérébral grave, qui pouvait peut-être, rien n’était moins sûr, se résoudre avec le temps. Ils avaient approuvé la thérapie imaginée par leur confrère. Depuis le premier jour, Louis administrait des calmants, sans obtenir que Nadette cessât de délirer. Du moins ne criait-elle plus et dormait-elle paisiblement.
Après les funérailles, dont il eût
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