Rive-Reine
Axel avait dépêché Régis Valeyres à Rive-Reine, avec mission de revenir avec le cabriolet, « sans oublier d’allumer les lanternes ».
On dut se serrer un peu sur la banquette et Axel, placé, pour guider, entre le pasteur et sa fille, ne s’en plaignit pas. Chaque frôlement involontaire du bras de la jeune fille lui faisait imaginer un peu plus d’abandon. Mais Élise Delariaz n’était pas comme ces filles qu’Axel et Vuippens rencontraient dans les bals de village, aguicheuses, mais pas toujours disposées à éteindre la flamme qu’elles allumaient chez leur cavalier ! Métaz le devina quand, un cahot lui ayant fait heurter du genou celui de la demoiselle, Élise Delariaz s’écarta sans précipitation ni pruderie, mais assez nettement pour que le contact ne se renouvelât pas. Il fut à la fois confus et rassuré par ce réflexe, qui n’était pas d’une oie blanche mais d’une femme sachant à quoi s’en tenir sur l’approche des hommes.
En l’aidant à descendre de la voiture, le Vaudois demanda cependant à sa passagère s’il aurait le plaisir de la revoir en novembre, à Vevey, à l’occasion de la foire de la Saint-Martin, célèbre parce que fondée en 1469 et la plus ancienne du canton.
– J’aurais eu grand plaisir, monsieur, à vous revoir, ainsi que vos parents, à cette occasion car je vais toujours faire des emplettes à la Saint-Martin de Vevey. Mais, cette année, où serai-je le 10 novembre ? Peut-être à Saint-Pétersbourg ou dans le Wurtemberg ! Au revoir et grand merci.
Le pasteur, en revanche, convia Axel, qui maintenant connaissait l’emplacement de sa maison sur les hauts de Clarens, à lui faire visite s’il passait par là.
– J’ai une petite vigne de famille, qui donne un pinot noir assez agréable, conclut-il, aimable.
Axel regagna Vevey un peu déçu. Cette Élise lui plaisait et il en eût volontiers fait sa cavalière pour le bal de la Saint-Martin. Mais, hélas, les femmes n’apparaissaient dans sa vie que pour lui échapper !
Quelques jours plus tard, il eut, par Vuippens, des explications sur le probable départ pour l’étranger de la jeune fille.
– Pendant que tu contais fleurette à la fille, ce que tout le monde a remarqué, j’ai entendu le père bavarder avec le pasteur de Vevey. M. Delariaz a annoncé qu’il allait convoler, le mois prochain, avec une Bernoise et qu’il irait habiter le domaine que possède sa future femme près de Berne. Sa fille, qui a jusque-là tenu sa maison et fait office de secrétaire, tout en approuvant le remariage de son père, ne tient pas à cohabi ter avec le nouveau ménage. Elle estime, fort justement à mon avis, que deux femmes ne peuvent s’entendre pour gouverner une maison. La belle Élise, qui a toujours eu, d’après le pasteur, un caractère indépendant et entreprenant, a donc postulé pour une place d’institutrice dans deux familles différentes, l’une russe, l’autre wurtembergeoise.
– C’est tout ce qu’il a dit ?
– Il a ajouté que sa demoiselle, fort instruite, musicienne, bonne cavalière, mais qui ne doit pas avoir un caractère très commode, finirait peut-être par trouver un époux chez les Cosaques ou les Teutons. Elle a été deux fois fiancée et a rompu deux fois, sans fournir d’explication. Ce doit être une peste, conclut Vuippens.
– Elle ne m’a pas donné cette impression, dit Axel, pensif.
– Toi, tu es sur le bord de tomber amoureux, mon garçon ! Sais-tu comment elle appelle les Veveysans ? Lè caca-pâivro : les caque-poivre. Tu n’as aucune chance d’en faire une maîtresse !
– Mais je puis, peut-être, en faire une institutrice pour Alexandra ! dit Axel, soudain émoustillé.
Le docteur Vuippens haussa les épaules.
– Ta mère doit t’en procurer une et cette Élise Delariaz n’est pas faite pour lui plaire, si tu veux mon avis. Protestante et fille de pasteur de surcroît. Je vois d’ici la moue de la très papiste marquise de Fontsalte !
– L’important ne sera pas que cette demoiselle plaise à ma mère, qui voudrait imposer une institutrice catholique, mais qu’elle plaise à Alexandra, qui appartient à notre religion réformée. Cet après-midi, je me fais annoncer chez le diacre ! conclut Axel, dont la détermination soudaine fit sourire Louis.
À peine la collation de midi avalée, Axel Métaz fit atteler et, moins d’une
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