Rive-Reine
heure plus tard, il tirait le cordon de la clochette suspendue au portail du pasteur Delariaz.
Une servante, tout en rondeurs, portant bonnet blanc tuyauté, vint lui ouvrir.
– M. le Ministre n’est pas à la maison, dit la domestique. Si vous voulez lui parler, revenez demain.
Pendant ce bref entretien, Élise parut sur le perron. Elle portait une jupe de velours vert. Un châle couvrait à demi son corsage blanc à jabot de dentelle. Axel apprécia la taille fine, les hanches rondes et la chevelure brune, rejetée sur la nuque, en un flot opulent serré par un simple ruban.
– Faites entrer Monsieur, Françoise, ordonna la jeune fille.
La servante s’effaça, pour livrer passage au visiteur. Élise regarda s’avancer l’homme qu’elle n’avait vu que dans la pénombre, quelques jours plus tôt. Elle découvrit en lui un métissage heureux d’étranger et de Vaudois. Grand, svelte, longues jambes, torse puissant, cheveux courts, bruns, bouclés et drus, traits énergiques, Axel Métaz avait, estima-t-elle, le physique d’un conquérant. Ce n’est qu’au moment où elle invita le vigneron à franchir le seuil du salon qu’elle découvrit son étrange regard bicolore, l’œil gauche bleu pervenche, l’œil droit couleur noisette.
– Mon père est absent pour la journée, mais c’est aimable à vous d’avoir pensé à le saluer en passant, dit-elle.
Elle signifiait ainsi que la visite d’Axel ne pouvait être une fin en soi, qu’il avait sans doute une raison plus impérieuse pour s’être déplacé jusqu’à Clarens.
Axel Métaz tenait de Blaise, son père, l’art d’aller au but sans tergiverser.
– Ce n’est pas votre père que je suis venu voir, c’est vous.
– Quel honneur vous me faites ! dit-elle en riant.
– J’ai une proposition à vous faire, dit Axel sans relever le léger persiflage.
– Une proposition ? Mon Dieu ! Asseyez-vous et dites toujours, monsieur.
Axel choisit une chaise de paille plutôt que le fauteuil en tapisserie qu’Élise lui désignait.
Le Vaudois commença par dire ce que lui avait rapporté Vuippens et que confirma la jeune fille :
– Mon père va, en effet, se remarier après dix ans de veuvage. Ma future marâtre est elle-même une jeune veuve sans enfant qui pourra, je l’espère, donner à mon père le fils que ma mère, trop malade depuis ma naissance, n’a pas pu lui apporter. Je tiens à ce que cet homme, si bon et généreux, qui a sacrifié dix ans de sa vie pour faire de moi ce que je suis, connaisse enfin, libre de toute contrainte, un nouveau bonheur dans un nouveau foyer. C’est pourquoi, en effet, j’espère obtenir une place d’institutrice dans une grande famille russe ou wurtembergeoise. Je suis recommandée auprès des deux par un diplomate, ami de mon père.
– Mais vous n’avez à ce jour reçu aucune réponse ? dit Axel.
– Elles ne sauraient tarder, monsieur.
– J’ai à vous offrir, moins loin de notre lac que Saint-Pétersbourg ou le Wurtemberg, une place d’institutrice. J’ai chez moi une petite orpheline de dix ans qui a maintenant, d’après ma mère, M me de Fontsalte, besoin d’être éduquée…
– Mon Dieu, vous êtes veuf aussi ! coupa M lle Delariaz.
– Non, mademoiselle. Je n’ai jamais été marié et cette enfant est ma filleule. Vous vous souvenez peut-être de la tragédie que fut, il y aura trois ans en novembre, le naufrage de la famille Ruty. Alexandra est la seule survivante et je l’ai, pour ainsi dire, adoptée, car ses oncles, tantes et grands-parents paternels, qui vivent loin d’ici, n’ont jamais manifesté le désir de la recevoir. C’est une fillette adorable, intelligente, douce et fort instruite pour son âge par le précepteur que je lui ai donné, le professeur Chantenoz, qui fut autrefois mon propre précepteur.
Connaissant Martin Chantenoz, dont elle avait suivi quelques cours et conférences, M lle Delariaz ne cacha pas son étonnement mais ne fit aucun commentaire.
– C’est là une bien délicate mission, monsieur, pour une institutrice sans expérience, car cette enfant, formée par un érudit, doit vous être très attachée.
– Un peu trop, au gré de ma mère. Mais elle est aussi la flamme de Rive-Reine et je ne puis me résoudre à la mettre en pension à Fribourg, comme certains le suggèrent.
– La personne qui
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