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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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acceptera la charge de faire de votre filleule une jeune fille accomplie, car tel est, j’imagine, votre souhait, devra faire preuve de beaucoup de tact et de doigté, monsieur.
     
    – J’aimerais, mademoiselle, que cette personne fût vous, dit Axel en fixant Élise.
     
    La jeune fille soutint le regard vairon. Sa prudente nature lui conseillait de refuser, sur-le-champ, cette proposition inat tendue et pour le moins audacieuse. L’homme aux yeux étranges, qui la formulait avec assurance, respirait force et franchise. Le fait qu’un célibataire aisé, car le pasteur avait dit à sa fille que les Métaz possédaient de grands biens, eût choisi d’élever seul une orpheline la touchait. Axel Métaz se trouvait dans la situation du pasteur Delariaz à la mort de sa femme.
     
    Après un temps de réflexion, pendant lequel Axel eut tout loisir de parcourir du regard le salon, où trônait un beau piano, Élise Delariaz sourit.
     
    – Vous comprendrez, monsieur, que votre proposition me flatte, car vous ne savez rien de mes capacités, mais ce n’est pas au bord du Léman que j’envisage de trouver un emploi d’institutrice.
     
    Axel se leva aussitôt, pour mettre fin à l’entretien, estimant qu’il ne devait pas, en l’absence du pasteur, s’attarder auprès de sa fille.
     
    Élise fut déroutée par ce mouvement, se reprochant déjà un refus trop abrupt.
     
    – Mon père vous a, je crois, parlé de notre vin. Voulez-vous y goûter avant de reprendre la route, monsieur ? ajouta-t-elle, aimable.
     
    Axel résista au vin et au sourire d’Élise.
     
    – J’aurai peut-être une autre occasion de déguster votre pinot avec M. le Pasteur. Mais, si vous renoncez à vous exiler, souvenez-vous de ma proposition. Ma mère recherche, elle aussi, une institutrice pour Alexandra, mais vous auriez, à tout coup, ma préférence, conclut galamment le visiteur.
     
    Élise vit s’éloigner le cabriolet sur le chemin pentu. Elle s’en voulut un peu d’avoir attendu sur le perron qu’il disparût, en espérant que M. Métaz se retournerait pour un au revoir supplémentaire.
     
    – Il a pas les deux yeux pareils, cet homme. C’est bien bizarre, ça ! constata Françoise, un moment plus tard, en entrant dans le salon où Élise, assise devant le piano, hésitait entre deux partitions de Liszt récemment livrées.
     
    – Ce monsieur a, en effet, le regard vairon. Mais ce n’est pas une tare, Françoise.
     
    – Pff, ça dit rien de bon, ces yeux-là ! Tiens, il y a bien longtemps, quand j’étais servante à la taverne du château, près la maison du bailli où les officiers français qui attendaient Bonaparte s’étaient installés – c’était la première année du siècle, je crois bien – on voyait un beau capitaine qui venait manger chez nous. Il avait les yeux comme ça. Toutes les filles de la taverne lui faisaient des mines parce qu’un imbécile de soldat leur avait dit que si une fille était aimée d’un homme aux yeux de deux couleurs, elle connaîtrait un plaisir qu’aucun autre pouvait donner. Foutaise, tu penses ! Quand elles ont su que le beau capitaine avait envoyé en prison, pour la faire fusiller, la sœur de Tignasse, l’épicière de La Tour-de-Peilz, elles voulaient plus le servir, tellement elles en avaient peur, raconta Françoise.
     
    Quand la servante eut quitté le salon, M lle  Delariaz demeura longtemps rêveuse devant le clavier, avant de se mettre à jouer. La proposition de l’homme au regard vairon ne devait pas remettre en question ses projets. Si quelqu’un lui avait demandé pourquoi, elle eût répondu qu’elle en faisait une question de principe. Elle ne revenait jamais sur ce qu’elle avait décidé. Tel était son caractère.
     

    À la mi-novembre, on apprit à Lausanne l’arrestation, le 6 du mois, de la duchesse de Berry. L’intrépide veuve, déçue de n’avoir pu rallier les Marseillais à la cause de Henri V, son fils, s’était rendue en Vendée, où ses amis avaient préparé une véritable mobilisation des héritiers des chouans. L’insurrection, une première fois fixée au 24 mai, avait été remise au 5 juin. Celle-ci n’avait pas eu l’ampleur escomptée par le maréchal Bourmont, revenu en France clandestinement pour organiser les forces légitimistes. Moins nombreux et moins combatifs que prévu, les Vendéens ne s’étaient livrés qu’à des escarmouches, désespérant bientôt de déclencher un

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