Rive-Reine
véritable soulèvement. Le gouvernement avait vite réagi devant cette menace de guerre civile. Les quatre départements de la Vendée, déclarés en état de siège, avaient été placés « hors de la loi commune ». Pendant des mois, il y avait eu, ici et là, des accrochages entre les nouveaux chouans et les militaires du 56 e régiment, qui les pourchassaient à travers bocages et halliers, tandis que la duchesse, déguisée en paysanne, allait la nuit de fermes en châteaux. Elle avait fini par aboutir à Nantes, où le général Dermoncourt s’était assuré de sa personne, par suite de la trahison de Simon Deutz, un Juif de Coblence, converti au catholicisme. Protégé du pape, cet aigrefin, ancien ouvrier imprimeur à la dévotion factice, avait soutiré au Saint-Père trois cents piastres pour ouvrir, avait-il dit, une librairie catholique à New York ! Il s’était arrêté à Londres, après avoir dilapidé, autrement qu’en œuvres pies, le viatique papal. Entré en relation avec les exilés qui avaient suivi Charles X et dans les bonnes grâces de l’épouse du maréchal Bourmont, Deutz avait accompagné cette dernière à Rome. La duchesse de Berry s’y trouvait alors. Apitoyée par cet errant, elle l’avait chargé d’une mission au Portugal, d’où il devait rapporter des dépêches importantes pour les légitimistes. C’est à Paris qu’il avait choisi de trahir sa dernière protectrice, après avoir discuté le prix de sa félonie avec le ministre de la Police en personne, M. de Montalivet. Deutz ayant retrouvé, à Nantes, la duchesse de Berry dans sa cachette, y avait conduit le commissaire de police Joly et les gendarmes. Alors que cent cinquante Vendéens, gravement compromis au cours de l’insurrection ratée, avaient quitté la France sans encombre, la malheureuse Marie-Caroline de Bourbon-Sicile, duchesse de Berry, se retrouvait internée à la prison de Blaye, sous bonne garde.
– Et le maréchal Bourmont, qu’est-il devenu, dans cette aventure ? demanda Axel, devant qui Blaise de Fontsalte et Ribeyre de Béran évoquaient, un soir, l’équipée de la duchesse de Berry.
– M. de Bourmont est à Genève. Il a médité son échec pendant quelques jours dans sa propriété de Maine-et-Loire, sans que personne songeât à se saisir de ce comploteur malchanceux. De là, il s’est rendu à Lyon, avant de passer en Suisse. Je puis vous dire que, s’il ose se présenter au café Papon, nos grognards auront tôt fait de jeter dans le lac ce familier de la défaite, qu’ils nomment toujours « le divisionnaire défaillant de Waterloo », dit Blaise qui, rentrant de Genève, s’était entretenu avec les vieux bonapartistes.
Au lendemain de cette conversation, Axel Métaz, qui avait passé le dimanche à Beauregard, regagna Vevey aux premières heures de la matinée. L’hiver s’annonçait par un brouillard dense qui, voilant la rive savoyarde et les sommets déjà coiffés de neige, donnait aux Vaudois le sentiment de vivre au bord d’une mer froide et sans horizon. De temps à autre, une grande barque, voiles en oreilles, émergeait, fantôme errant déployant son linceul, de la brume qui floconnait au ras de l’eau grise. La cascade des parchets, où la vigne défeuillée dressait ses ceps torses, devenait, dans la grisaille opaque, une pente banale, privée de relief.
Axel aimait cette saison, qui autorisait les flâneries devant la cheminée où crépitaient les bûches tandis que la pluie froide giflait les vitres.
Il venait de franchir le seuil de Rive-Reine quand Alexandra se précipita à sa rencontre et bondit comme une chatte dans ses bras.
– Parrain, il y a une jolie dame qui est venue te voir, hier, après le culte, mais tu n’étais pas là ! Elle a dit qu’elle reviendrait cet après-midi.
– Et qui est cette belle dame ?
– Une demoiselle de Clarens. Elle a laissé une carte, là, dit Pernette, qui venait d’apparaître, en désignant le guéridon du hall.
Avant de lire le nom gravé sur le bristol, Axel sut qu’il s’agissait d’Élise Delariaz, dont le souvenir surgissait parfois dans ses pensées. Il s’était interdit, bien que l’envie lui en fût souvent venue, de revoir la fille du pasteur. Après sa visite à Clarens, il considérait leur relation de hasard comme définitivement interrompue.
– Eh bien ! nous attendrons cette dame, Alexandra.
– Qu’est-ce qu’elle
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