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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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quitter le Coast Guard pour l’escadre de Virginie, bénéficie de deux mois de permission. Nous avons donc décidé de visiter l’Europe et, naturellement, de consacrer une ou deux semaines au pays de Vaud, probablement après des séjours à Londres, Paris et Rome, villes que mon mari souhaite connaître. Je serai heureuse de vous le présenter et de lui faire rencontrer Axel, ce demi-frère que j’aime comme trois ! Il serait d’ailleurs plus correct que nous habitions Rive-Reine pendant notre séjour, plutôt que Lausanne où vous résidez avec votre second mari, dont j’ignore les sentiments qu’il peut éprouver à mon égard. »
     

    – Quelle dinde ! s’exclama Flora quand son amie, larmes aux yeux, lui donna connaissance de la lettre.
     
    – C’est très bien. Nous montrerons à cet Américain la fête des Vignerons, dit Axel, informé à son tour des projets de Blandine.
     
    À Martin Chantenoz, on dut la troisième nouvelle de la première semaine de janvier. Il débarqua du Léman et se présenta à Rive-Reine, après un séjour à Genève. Axel remarqua aussitôt sa mine déconfite, l’accablement, plus moral que physique, qui le laissait avancer, tête basse, épaules voûtées. La façon dont il polit nerveusement ses verres de lunettes avant de parler confirma le désarroi du professeur.
     
    – Le cocu est décédé, dit-il sans préambule, du ton tragique et las que prend Agnès pour annoncer : « Le petit chat est mort », dans l’École des femmes .
     
    Axel savait combien Martin redoutait la disparition du pasteur anglais, mari de sa maîtresse. À voir l’air lamentable de son mentor et bien que la nouvelle incitât à la compassion, il se retint de rire.
     
    – C’est une triste nouvelle en soi. Mrs. Exutoire, que je n’ai pas l’honneur de connaître, doit tout de même être affectée. Une épouse peut tromper son mari tout en lui conservant affection et estime, dit le Vaudois, caustique.
     
    – Donne-moi quelque chose à boire, Axel, demanda Martin. La cave du Léman est d’une affligeante pauvreté.
     
    Le marc râpeux parut lui donner courage.
     
    – Le seul sentiment qu’éprouvait encore Aricie – oui, elle s’appelle Aricie, comme la Grecque qui épousa Hippolyte – était de la pitié. Nulle estime ni affection, crois-moi, pour ce goinfre jouisseur, qui a été puni par où il a, toute sa vie, péché, puisqu’il est mort d’une indigestion après un banquet à Payerne.
     
    – Mais…
     
    – Il n’y a pas de mais, Axel, c’est ainsi. Je suis certainement celui qui regrette le plus la disparition de cet homme. Tant qu’il vivait, j’étais tranquille. Aricie n’aurait jamais osé demander le divorce, ce « sacrement de l’adultère », d’après Guichard 1 . Naturellement, j’ai commis cent fois l’imprudence, dans des moments d’exaltation amoureuse, tu comprends ce que je veux dire, hein, de lui murmurer : « Si tu étais libre, je t’épouserais tout de suite ! Quelle vie nous aurions ! Nous vivrions un éternel printemps » et des tas d’autres fadaises du même tonneau. Les femmes aiment entendre ce genre de phrases, qu’on lit dans les romans français. Mais, alors, j’étais à l’abri du lien conjugal ! Maintenant, tout est changé. D’ailleurs, dès que la nouvelle du décès du pasteur lui est parvenue, elle est arrivée rue des Belles-Filles, tous voiles de veuve dehors. Elle pleurait, mais ce n’était pas de chagrin. Ah ! mon pauvre Axel ! Sûr qu’elle va me mettre en demeure de tenir ma promesse inconsidérée. Dans neuf mois, je suis bon, mon petit ! Moi, Chantenoz, marié ! Tu vois ça !
     
    – Pourquoi neuf mois ? dit Axel, qui ne contrôlait plus son rire.
     
    – Parce que c’est la loi. Une veuve peut être enceinte à la mort du mari, mon garçon ! Elle doit attendre ce délai.
     
    – Mais quel âge a-t-elle, votre Aricie ? demanda Axel, fort étonné.
     
    Il avait toujours pensé que Martin, maintenant âgé de cinquante-trois ans, avait une maîtresse d’âge canonique.
     
    – Elle a tout juste trente et un ans, mon garçon. Quand je l’ai connue, elle en avait vingt-sept.
     
    – Trente et un ans ! Mais elle est plus jeune que moi !
     
    – Et superbe ! Tu ne crois tout de même pas que je mettrais une vieille dans mon lit ! lança le professeur en se servant un nouveau verre de marc.
     
    Il alluma posément sa pipe, puis, voyant la gaieté insolente de

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