Rive-Reine
Vevey, afin d’embrasser son père et sa sœur Blandine quand ils monteraient dans la diligence pour se rendre à La Rochelle, où ils prendraient le bateau pour l’Amérique.
Pendant l’absence d’Adrienne von Fernberg, Axel Métaz emplit la plupart des heures qu’il passa avec Malorsi à parler de la baronne, fignolant la définition de ses charmes, vantant son audace et sa vivacité d’esprit, reconnaissant aussi ce qu’avait d’énigmatique son pouvoir de persuasion.
– Mon ami, vous voilà coiffé de cette étrange demi-sœur ! Si le pouvoir imaginaire que vous lui prêtez vient de son regard, de son esprit et de son cœur vairons, dites-vous que, possédant le même regard, vous devriez détenir le même pouvoir !
Axel pouvait compter sur le comte pour être en toute circonstance rassuré !
Peu avant Noël 1819, alors que la neige étalait sur la place Saint-Marc une couche de sucre glace que tranchaient, en crissant, les pas des rares passants et que de gros flocons fondaient dans l’eau grise des canaux, Axel, regagnant la Ca’ Malorsi, trouva sa logeuse tout effarouchée. Une femme vêtue et voilée de noir, dont elle n’avait pu voir le visage, avait laissé un message pour le signor Métaz de Fontsalte.
– Je pense que c’est de vous qu’il s’agit, bien que le nom soit un peu différent, dit miss Emily en remettant le pli à son locataire.
Axel fit sauter le cachet de cire, découvrit une seule phrase et annonça, radieux, à la vieille demoiselle qui brûlait d’envie de connaître le contenu du billet :
– Ma sœur est arrivée à Venise, je cours l’embrasser !
Miss Emily Grafton ne revit le jeune homme que le lendemain soir. Sa sœur, pensa-t-elle, l’avait retenu à dîner et il n’était rentré que fort tard, en évitant tout bruit. Ce gentleman, qui, par modestie, dissimulait sa particule, en avait l’habitude !
Adrienne avait annoncé, avant son départ pour Parme : « Dorénavant, petit frère, nous irons partout dans Venise en montrant nos yeux ! Ce sera amusant. Tout le monde voudra nous inviter ! Nous ferons figure de curiosité, comme le rhinocéros de Pietro Longhi. »
Le baron Karl von Fernberg étant loin, c’est ainsi qu’ils agirent, et bientôt, Axel et Adry devinrent la coqueluche de tous les lieux de plaisir de Venise. On les vit dans les auberges à la mode, au Lido, à Malamocco, dans les jardins, à l’Erberia où le Vaudois, élevé dans les vignes et les champs, apprit à sa compagne à choisir les meilleurs fruits. Ils furent accueillis dans le salon de la comtesse Isabella d’Albrizzi, érudite d’origine grecque, épouse d’un inquisiteur d’État, auteur de plusieurs ouvrages, dont une analyse pertinente de l’œuvre du sculpteur Canova. Axel fut un peu déçu de ne pas rencontrer lord Byron chez cette femme de lettres. Le poète, dont tous les propos étaient colportés, tenait M me d’Albrizzi pour « la Germaine de Staël vénitienne ». La baronne von Fernberg et son cavalier servant explorèrent en gondole tout l’archipel et, un soir, alors qu’un ciel de plomb coiffait la lagune et que le givre couvrait le felze sous lequel les amants étaient blottis, Adrienne voulut faire le tour de l’île San Michele, cimetière de Venise.
– Ce n’est qu’ici qu’un Vénitien devient propriétaire de sa terre, dit-elle, citant une sentence répandue.
Cette phrase et l’intérêt morbide qu’Adry semblait prendre au site dévolu aux morts, champ de croix cerné de cyprès que tourmentait la bise, firent frissonner Axel. Les gondoliers de sa maîtresse, enveloppés dans leur froc noir, lui apparurent soudain, sinistres moines, tels les passeurs du Styx.
Mais Axel Métaz, en bon Vaudois, n’était pas homme à cultiver longtemps des pensées funèbres et désolantes. Pour combattre la mélancolie du moment, il demanda à sa compagne de chanter, comme elle le faisait souvent quand ils naviguaient, une des barcarolles populaires apprises des gondoliers. Adrienne attaqua aussitôt La biondina in gondoletta et le malaise se dissipa. Cette chanson, la préférée d’Axel, était dédiée à la comtesse Marina Guerini Benzoni, qui, sous l’occupation française, vêtue d’une tunique à la grecque dévoilant haut ses cuisses, avait fait danser les Vénitiens autour d’un arbre de la liberté dressé sur la piazzetta !
Axel et Adry se rendirent
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