Rive-Reine
longue chemise, dernier voile qu’elle déploya, fit onduler comme une flamme, et se mit à danser, nue dans le soleil, en chantant. Ses longs cheveux dénoués, qu’elle faisait tournoyer par un mouvement de tête, tantôt retombaient en cascade sur ses reins, tantôt voilaient ses seins menus aux pointes mauves. Cette danse, plus acrobatique que lascive, subjuguait Axel. Il admirait ce corps souple, auquel ne manquait que l’éclat de la vraie blancheur pour être sculpture marmoréenne. Il subissait innocemment le charme qui, autrefois, avait envoûté Hérode et condamné Jean-Baptiste. Mais cette nouvelle Salomé ne réclamait, d’une voix devenue plaintive, que l’amour sans qui le temps se perd. Après une série de virevoltes, Adrienne se tut, s’immobilisa, abandonna sa chemise inutile, prit un nouvel élan et se mit à faire la roue, le pont renversé, à marcher sur les mains, à franchir le lit en culbute en poussant des cris de plaisir, comme si ce numéro de funambule était une manière d’exprimer la secrète joie d’un corps dompté. Après un dernier saut périlleux, elle se planta devant Axel, partagea sa chevelure en deux nattes qu’elle noua avec une fausse pudeur sous le menton et saisit trois brioches avec lesquelles elle se mit à jongler frénétiquement. Bientôt, elle rendit deux brioches au panier, mordit un grand coup dans la troisième, dont elle lança le reste au visage d’Axel, en riant de sa mine de spectateur médusé. Oubliant le courroux qui l’animait quelques instants plus tôt, le Vaudois applaudit avec sincérité.
– J’ai travaillé dans un cirque, dit-elle en s’asseyant sur les genoux du jeune homme.
Puis, comme, attendri et émoustillé, il ne pouvait se retenir d’embrasser son épaule et sa nuque, elle glissa :
– N’ai-je rien mérité de plus, Monsieur le Protestant gourmé ?
Axel, ainsi provoqué, opta sans balancer pour une passion dont il décida d’ignorer l’inconvenance. Il souleva Adrienne dans ses bras, la jeta sur le lit et se glissa près d’elle, résigné à subir la malédiction promise par les Écritures.
Ils s’aimèrent jusqu’au milieu de l’après-midi, quand la baronne von Fernberg, revenant aux réalités du moment, expliqua qu’elle devait partir, le soir même, pour Parme avec son mari.
– Naturellement, tu as un mari, dit Axel, pensif.
– J’ai un mari. Mais, rassure-toi, il est au palais Sentini.
– N’y sommes-nous pas nous-mêmes ?
– Nous sommes dans mon casin 3 , sur le rio Beccarie. Et puis, un mari, ça ne vaut pas un frère, ça non ! lança-t-elle dans un éclat de rire.
– Tu pars pour Parme et moi, demain, pour la Suisse…
– Comment, pour la Suisse ? Tu ne vas pas me quitter déjà. Je ne serai absente qu’une semaine et je compte bien te trouver là pour m’accueillir. D’ailleurs, dès mon retour, je te présenterai à Fernberg et tu viendras habiter ici. Mon époux pourrait être mon père et le tien. C’est un diplomate autrichien. Un parfait gentilhomme, sans un brin de jalousie. Et puis tu es mon frère, ne l’oublie pas, et nous avons dans les yeux de quoi le prouver au monde entier ! Alors, te rends-tu compte de la vie que nous pourrons avoir, cet hiver ? Nous visiterons l’Italie ensemble, quand Karl retournera en Autriche. Nous serons libres ! Il y a tant de belles choses à voir en Italie, des trésors d’art dont tu ne dois pas ignorer l’existence.
– Mais, c’est-à-dire que mon père, enfin celui que je considère comme tel, m’attend à Vevey. Il veut me revoir avant de prendre passage pour l’Amérique avec ma sœur.
– Ton autre demi-sœur, veux-tu dire, corrigea Adry en souriant.
Comme Axel se taisait, la jeune femme se blottit au creux de l’épaule de son compagnon et se fit, d’une manière inattendue, raisonnable.
– Cette fois, j’admets tes scrupules. Toi seul peux décider de rester ou de partir. Mais, si tu n’étais pas à Venise à mon retour, je serais malheureuse. Et dis-toi bien que n’importe comment, où que tu sois, un jour, je te retrouverai ! Nous ne sommes pas, nous, les yeux vairons, des amants ordinaires. Tu le sens comme moi, n’est-ce pas ?
Axel, déjà fasciné par Adrienne, acquiesça, dit qu’il devait réfléchir à tout cela et, après un dernier baiser, qui n’avait rien de fraternel, fit ses adieux à celle dont il escomptait, en
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