Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
grandes enjambées nerveuses, sans un regard en arrière, comme si vingt années de bonheur et d’ignorance prenaient irrémédiablement la route de l’oubli.
     
    Le jeune homme fut encore tiré de sa méditation par un voyageur qui, rentrant à Rivaz, évoquait les déprédations subies par le château de Glérolles.
     
    – N’est-ce pas une misère, de voir comment notre Chillon de Lavaux a été mutilé par des gens sans foi ni respect de l’antique ?
     
    – Mutilé ? s’étonna une dame.
     
    – Oui, mutilé, madame. Les particuliers, venus on ne sait d’où, qui ont acheté le domaine en 1803 pour y faire du vin, car par ici ça rapporte bien, ont décrété que l’ombre de la vieille tour carrée du xii e  siècle, qui abritait la cage où nos évêques enfermaient les sorcières, faisait du tort à leur vigne. Ils l’ont décapitée sans pitié ! Quelle misère !
     
    Tout le monde, y compris Axel, qui aimait les vieilles pierres, compatit devant cette amputation d’un donjon cher au cœur des Vaudois. Mais, quand la diligence atteignit son terminus lausannois, au bas de la rue de Bourg, Axel avait tout oublié des propos tenus pendant ce retour au pays. Il se hâta de gravir la rue pentue, suivi d’un commissionnaire portant ses bagages.
     
    La seule vue du petit hôtel particulier de sa défunte grand-tante Mathilde lui fit battre le cœur plus vite. C’est d’une voix voilée par l’essoufflement, et plus encore par l’émotion, qu’il demanda à la servante inconnue qui vint lui ouvrir de bien vouloir annoncer à M me  Métaz que son fils, Axel, souhaitait la voir.
     
    – Notre dame n’est pas à la maison pour le moment, mais elle ne va pas tarder à revenir car, ce soir, elle va au théâtre. Et, bien sûr, le temps de s’habiller…
     
    La servante le fit entrer dans le grand salon du rez-de-chaussée, dont il ne reconnut ni la distribution ni le mobilier, ni même les tableaux qui, dans son souvenir, le décoraient. Les sombres tentures d’autrefois avaient cédé les tringles à des panneaux de soie bleu pastel à franges d’argent. Un canapé capitonné, des bergères et des poufs dodus, recouverts de velours frappé du même bleu que les doubles rideaux, remplaçaient les sièges de bois à haut dossier, si inconfortables. Sur les murs, devenus clairs, des paysages bucoliques du Léman, des châteaux de Lavaux et un couple de vignerons veveysans en costume traditionnel, œuvres de peintres contemporains comme Koenig, Lory, père et fils, ou Théophile Steinlen, avaient chassé les gravures et les eaux-fortes rapportées par Mathilde Rudmeyer de ses voyages. Axel regretta particulièrement la disparition d’une vue du pont des Soupirs qui eût été beaucoup plus parlante pour lui qu’à l’époque où sa grand-tante la commentait, avec une émotion mal contenue, devant le garçonnet qu’il était alors. « Quels souvenirs radieux et tendres restaient attachés pour la vieille demoiselle à ce tableau ? Chacun ne rapporte-t-il pas de Venise un bonheur inavouable, un chagrin secret, une illusion que le temps dissoudra ? » se demanda-t-il avec une pensée pleine de complaisance pour la défunte.
     
    Il venait d’allumer sa pipe quand la porte s’ouvrit brusquement.
     
    Charlotte Métaz, qui chantonnait, resta interdite à la vue de son fils. Elle portait une robe légère, de ce bleu Nattier qui allait si bien à sa blondeur. Une large ceinture de velours bleu de roi mettait en valeur la taille encore fine. Du décolleté en pointe sortait une rose. Axel trouva sa mère plus jolie que jamais et, quittant son fauteuil, vint au-devant d’elle.
     
    – Tu fumes la pipe, maintenant ! remarqua-t-elle, comme si rien n’était plus urgent que cette constatation.
     
    Avant toute réponse, elle lui ouvrit les bras et ils s’étreignirent.
     
    – Personne ne m’a dit que tu étais là ! Pour une surprise, c’est une belle surprise. Tu es resté absent si longtemps et sans donner de nouvelles pendant des mois ! Pourquoi, mon Dieu, pourquoi ?
     
    – Il fallait laisser le temps faire son œuvre, maman.
     
    – Il l’a faite et bien faite, son œuvre, le temps. Ton père ne m’a même pas accordé l’aumône d’un adieu !
     
    – Mon père ?
     
    – Je veux dire Guillaume. Tu le considères toujours comme ton père, non ? Tu le dois. C’est lui qui t’a élevé.
     
    – C’est lui et personne d’autre, en effet !
     
    – Il

Weitere Kostenlose Bücher