Rive-Reine
brandissant leur canne comme un sabre. « Pauvres dons Quichottes ! » se dit-il.
En descendant la rampe de la Treille vers la Corraterie, il lui plut de penser que la réserve hautaine de Blaise de Fontsalte ne manquait pas de panache. Il y vit aussi une marque du réalisme cher aux Vaudois, ce qui ne pouvait déplaire à l’héritier de Guillaume Métaz, braffieu 9 reconnu.
N’ayant pas réussi à rencontrer Buonarroti ni son disciple Andryane, Axel revint plusieurs fois au café Papon. Admis comme un sympathisant serviable par les bonapartistes et entré dans les bonnes grâces de la patronne, il apprit que l’établissement avait souvent accueilli Michel Jean Rocca, dit John Rocca, qui avait secrètement épousé, le 10 octobre 1816, M me de Staël, à qui il n’avait survécu qu’une année. Phtisique au dernier degré, Rocca était allé mourir, le 1 er octobre 1818, à Hyères, sur les bords de la Méditerranée, disaient les uns, tout simplement à Coppet, assuraient les autres. Le fils, né le 7 avril 1812 de cette union tardive – Germaine avait alors quarante-six ans –, se nommait Louis-Alphonse Rocca. Âgé de huit ans et de faible constitution, il était élevé sous un faux nom par le pasteur Gleyre, à Nyon.
– Si Dieu lui prête vie, ce dont les gens qui l’ont vu doutent fort, il recevra une belle part de l’héritage maternel, plus ce qui reste du legs fait par Germaine de Staël à John : 82 000 francs suisses et des terres en Italie, expliqua M me Papon, pour qui tout gain d’argent représentait une grâce céleste et un bonheur calculable !
Sachant que le pli destiné au révolutionnaire italien contenait des espèces, Axel Métaz se mit plus assidûment à sa recherche et un habitué de la Treille le lui présenta, au cours d’une matinée printanière, sous les marronniers revêtus de feuilles nouvelles. L’homme, osseux et voûté, qui passait pour maître ès révolutions, parut à Axel aussi inoffensif que les vieux bacounis perclus de rhumatismes qu’il voyait, enfant, autour de la Grenette, à Vevey. Ses longs cheveux blancs dépassaient d’un chapeau à larges ailes et ses sourcils broussailleux semblaient soutenus par des lunettes à monture de fer. Quand il releva la tête, qu’il tenait inclinée sur la poitrine, Axel découvrit un regard d’acier bleui, celui d’un homme impitoyable. Son habit noir, propre mais élimé, s’ouvrait sur un gilet à la Robespierre. Ses jambes de pantalon disparaissaient dans de courtes bottes démodées. Malgré cet accoutrement d’une autre époque et une apparente lassitude, l’aspect de cet homme, qui disait descendre de Michel-Ange, avait quelque chose de vénérable, qui invitait au respect. Il reçut l’enveloppe tendue par Axel sans un mot et ne s’enquit ni de son origine ni de l’identité de celui qui la lui remettait. Il se contenta de remercier d’un signe de tête et ne fit rien pour retenir le Vaudois quand ce dernier s’éloigna, un peu décontenancé par un tel mutisme.
« Curieux bonhomme », se dit Axel en regagnant son hôtel, où il s’empressa de boucler ses bagages afin d’attraper la diligence de Lausanne qui partait à midi.
Quittant Genève après une semaine de séjour paresseux, il avait le sentiment de connaître cette ville. Le besoin de se retrouver chez lui le tenaillait. Tout au long de la route côtière, il ne fit qu’observer le lac et les montagnes de Savoie, que coiffaient des nuages trop blancs et boursouflés.
– Ils ont le fond plat, ce sont des cumulus. Ils annoncent la pluie pour ce soir, dit le voyageur qui faisait face à Axel.
Ce dernier se garda d’engager la conversation. Il ne s’était pas préparé à revoir sa mère et cette dernière ignorait la date de son retour. En suivant, sur le lac, la lente progression, en l’absence de vent, d’une barque chargée de grumes, il se demandait comment dominer sa gêne et son émotion quand, tout à l’heure, il allait se retrouver devant Charlotte. La dernière image qu’il conservait de sa mère était navrante. Axel la voyait, à l’aube du 7 août 1819, montant dans son coupé, après que le père, qui portait encore le gilet noir et la chemise blanche de la fête des Vignerons, eut abaissé devant elle le marchepied. Et la voiture, conduite par le vieux Valeyres, s’éloignait, emportant la répudiée, tandis que Guillaume Métaz rentrait dans la maison à
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